Fiora et le Pape
ne répondit pas au
souhait qu’on lui adressait. Elle était déjà partie vers l’auberge où l’on
avait étendu Fiora sur un banc, un oreiller sous la tête. L’hôtesse lui tapait
dans les mains et Florent lui bassinait les tempes avec du vinaigre, mais rien n’y
faisait : le nez pincé, les joues blanches et les yeux clos, la jeune
femme ne réagissait pas. Elle respirait avec peine, mais elle respirait, et à
cela seulement on voyait que le coup ne l’avait pas tuée.
En
dépit de la peur qui lui mordait le ventre, Léonarde s’efforça de garder son
calme. Elle tâta les mains et les pieds de Fiora aussi glacés les uns que les
autres, puis ordonna :
– Donnez-moi
de l’eau-de-vie et faites chauffer une brique pour lui mettre aux pieds ! Une
couverture aussi ! Nous paierons ce qu’il faut !
– Vous
ne voulez pas qu’on lui prépare une chambre ?
– Non,
merci. Il vaut mieux essayer de la ramener chez elle. Nous habitons le manoir
de La Rabaudière aux Montils.
– La
maison aux pervenches, fit la femme avec un demi-sourire. Je la connais. Une
bien jolie demeure !
– Oui,
mais pour l’instant elle m’a l’air d’être au bout du monde ! Allons,
Florent, remuez-vous au lieu de regarder votre maîtresse avec de grands yeux
noyés ! Tâchez de trouver une litière, un brancard, je ne sais pas, moi !
Tout
en parlant, elle introduisait avec précaution et non sans difficulté une
cuillerée d’eau-de-vie de prune entre les dents serrées de la malade. Une
servante apporta la brique chaude et la couverture dont on enveloppa le corps
qui, brusquement, se mit à trembler comme si une bise glaciale était entrée
dans la salle. Le vigoureux cordial commençait aussi à faire son effet : Fiora
s’étrangla, toussa plusieurs fois. Léonarde la redressa et lui tapa dans le
dos. La toux se calma et un peu de couleur revint aux joues trop pâles.
Ouvrant
enfin les yeux, Fiora vit des visages inconnus penchés sur elle, mais s’aperçut
tout de suite qu’elle était dans les bras de Léonarde. Elle essaya de s’asseoir,
sans y parvenir.
– Qu’est-ce
que je fais ici ? demanda-t-elle d’une voix encore étranglée par la quinte
de toux.
Mais
elle était de celles dont les réveils sont rapides et, tout de suite, la
mémoire de ce qui venait de se passer lui revint. Elle éclata en sanglots et
cacha son visage contre l’épaule de sa vieille amie.
– Emmenez-moi
d’ici ! supplia-t-elle. Vite ! Vite ! Je veux rentrer !
Heureusement,
Florent revenait avec une bonne nouvelle : l’abbesse d’un couvent voisin
possédait une litière et la mettait volontiers au service d’une noble dame en
difficulté. Le véhicule arrivait.
Léonarde
remercia les aubergistes de leurs soins qu’elle voulut payer, ce qu’on lui
refusa :
– Pauvre
jeune dame ! fit l’hôtesse apitoyée. Il faut qu’il lui soit arrivé une
bien grande douleur pour la mettre dans cet état ! Elle était si joyeuse
tout à l’heure et elle mangeait son pâté de si bel appétit ! Vous n’aurez
qu’à me rapporter la couverture un jour prochain ! Prenez bien soin d’elle !
C’était
une recommandation superflue et, tandis que la litière abbatiale les ramenait
toutes deux vers le manoir, Léonarde se demandait avec angoisse comment elle
allait pouvoir panser cette nouvelle et terrible blessure que le sort
infligeait à son enfant chérie. Une fois déjà, après la bataille de Grandson où
l’on avait vu tomber Philippe de Selongey, Fiora l’avait cru mort, mais
peut-être alors restait-il, au fond d’elle-même, une faible lueur d’espoir :
au combat, il arrive qu’un blessé, laissé pour mort, revienne à la vie. C’est
ce qui s’était passé pour Philippe : la chance lui avait envoyé Démétrios
Lascaris, l’un des meilleurs médecins de la chrétienté, et Fiora avait vu son
époux revenir vers elle bien vivant. Mais quel espoir, même insensé, garder
après une exécution capitale ? Léonarde, navrée, s’efforçait de calmer ces
sanglots déchirants qui semblaient devoir ne jamais cesser. Fiora, enfouie dans
le puits de sa douleur, avait l’air de s’y enfoncer un peu plus d’instant en
instant et n’entendait aucune des paroles apaisantes que sa vieille gouvernante
lui prodiguait. Peut-être pensait-elle qu’après les pleurs viendrait le sang,
et après le sang la vie ?
Elle
pleura ainsi tant que dura le chemin et, si les larmes coulaient moins,
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