Fiora et le Pape
il s’agit, et elle a montré une permission de communiquer
qui porte le sceau privé de Sa Sainteté.
– Je
ne connais personne ici. Qui est-ce ?
– Elle
a donné le nom de Boscoli et je ne saurais vous en dire plus, sinon qu’elle est
en grand deuil. Une veuve, probablement.
– Boscoli ?
dit Fiora réfléchissant à haute voix. Le nom ne me dit rien. En savez-vous un
peu plus sur cette dame ?
– Je
ne saurais vous répondre, donna Fiora. De toute façon, vous ne risquez rien à
la rencontrer. Voulez-vous que je vous accompagne ?
– Vous
êtes bonne de me le proposer, mais il vaut peut-être mieux que j’aille seule.
– Alors,
surtout, rappelez-vous ces bonnes résolutions que Mgr le vice-chancelier a
obtenues de vous et gardez en mémoire que cette dame est, en quelque sorte, l’envoyée
de notre Très Saint-Père !
– J’essaierai
de m’en souvenir, Révérende Mère.
Elle
pensait que tout dépendrait de ce que la dame en question avait à lui dire,
mais qu’elle fût l’envoyée de Sixte IV ne pouvait qu’éveiller sa méfiance. Sans
prendre la peine d’ôter sa cape noire, Fiora se dirigea vers le parloir du
couvent.
C’était
une grande salle voûtée en plein cintre et passée au lait de chaux qu’une
grille d’épais barreaux de fer partageait en son milieu. Du côté du cloître,
elle n’avait pour seul ornement qu’un crucifix de bronze, mais, du côté des
visiteurs, des fresques hautes en couleur retraçaient le martyre du bienheureux
pape Sixte II, décapité en l’an 258 avec quatre de ses diacres dans le
cimetière de Calliste. L’artiste avait peint le saint plus grand que les autres
personnages afin de bien montrer à quel point il leur était supérieur.
En
ouvrant la porte qui eut le bon goût de ne pas grincer, Fiora ne vit qu’une
silhouette noire, de formes amples, et qui lui tournait le dos. La visiteuse
était en contemplation devant la scène où un bourreau musculeux abattait la
tête nimbée d’or du martyr. Et Fiora, pour la première fois, bénit les
affreuses sandales de corde tressée que l’on portait au couvent et dans
lesquelles ses pieds n’arrivaient pas à se réchauffer, car elles lui permirent
d’avancer jusqu’à la grille sans faire plus de bruit qu’un chat. Elle souhaitait
observer sa visiteuse, mais ne vit pas grand-chose d’autre qu’un ample manteau
de beau drap noir à ramages d’argent dont la capuche était ourlée de renard
sombre. Et comme il lui était impossible d’en savoir davantage, elle se décida :
– Puis-je
savoir, Madonna, ce qui me vaut l’honneur de votre visite ? fit-elle d’une
voix nette.
La
femme prit son temps pour se retourner, mais, quand ce fut fait, Fiora dut
faire appel à tout son empire sur elle-même pour ne pas pousser le cri que l’autre
attendait peut-être. Celle qui la regardait avec un méchant sourire et des yeux
brillants de joie mauvaise n’était autre que Hieronyma...
CHAPITRE VII UN SCRIBE
RÉPUBLICAIN
En
dépit de la séparation qu’imposait la grille, Fiora recula d’un pas,
instinctivement, comme elle eût fait si un serpent s’était dressé sur son
chemin, mais son visage garda une parfaite impassibilité. Au contraire, Hieronyma
s’approcha de la clôture jusqu’à toucher les barreaux de sa main gantée de
noir.
– Bonjour,
cousine ! fit-elle d’une voix chuintante que Fiora ne lui connaissait pas
et qui était due, sans doute, aux deux dents qui lui manquaient à la mâchoire
supérieure. Nous aurons mis du temps à nous retrouver, mais j’espère que tu
apprécies les circonstances présentes à leur juste valeur ?
– On
m’a annoncé une signora Boscoli ? Qu’est-ce que cette comédie ?
– Une
comédie ? En aucune façon : c’est bien mon nom. Il y a un peu plus d’un
an, j’ai épousé ici même le seigneur Bernardo Boscoli, un juriste de la cour
pontificale. Hélas, j’ai eu le malheur de le perdre l’été dernier... la peste !
Du
bout d’un doigt, elle écrasa une larme factice cependant que Fiora s’offrait le
luxe d’un sourire chargé de dédain :
– Ce
n’est pas flatteur pour toi : choisir la peste après quelques mois de mariage !
C’est néanmoins une attitude que je peux comprendre. A présent, dis-moi ce que
tu viens faire ici et va-t’en !
Le
visage de Hieronyma n’avait pas encore perdu l’éclat de sa maturité épanouie,
il s’empourpra d’abord sous la poussée d’une
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