Fiora et le Pape
colère brutale qui fit étinceler
ses yeux noirs, puis jaunit d’un seul coup comme si le fiel qui emplissait son
âme venait de s’infiltrer sous sa peau blonde. Elle avait grossi durant ces
deux années, mais elle avait acquis une sorte de majesté perverse qui lui seyait
et Fiora pensa que la Gorgone de la légende devait lui ressembler. Reprenant le
souffle que l’insolence de son ennemie lui avait coupé un instant, elle parut
se gonfler encore.
– Baisse
le ton, ma fille ! Tu n’es pas ici en position de donner des ordres,
siffla-t-elle. En fait, tu n’es plus grand-chose et il suffirait d’un rien pour
te renvoyer d’où tu viens, à la paille d’une prison, à l’échafaud.
Le
goût amer de la haine envahit Fiora et emplit sa bouche. Cette misérable femme
qui avait assassiné son père, brisé sa vie, qui osait prostituer son corps au
service de Satan et qui avait échappé par miracle à la justice des Médicis
osait venir la narguer et l’insulter. Sans la grille, peut-être se fût-elle
jetée sur elle pour l’étrangler de ses mains et débarrasser enfin la terre d’une
créature immonde. Un violent effort de volonté la sauva des manifestations d’une
colère qui eût peut-être fait plaisir à Hieronyma. Plus droite que jamais, elle
la toisa et laissa tomber :
– Je
suis infiniment plus que tu ne seras jamais, suppôt du démon. Et je t’ai assez
entendue !
Virant
sur ses talons, elle tourna le dos à la grille et se dirigea calmement vers la
porte du parloir. Un cri de Hieronyma la retint :
– Attends !
Je n’ai pas encore tout dit !
– Ce
que tu peux dire ne m’intéresse pas.
– Vraiment ?
Toi qui n’as pas voulu être ma belle-fille, tu aimerais peut-être apprendre que
tu vas être ma nièce ?
– Quoi ?
Le cri
de Fiora résonna dans le silence. Les mains enfouies dans ses manches doublées
de renard, Hieronyma regardait son adversaire par en dessous, comme si elle
cherchait l’endroit sensible où elle pourrait frapper, et mordillait
nerveusement sa lèvre inférieure. Tapie dans ses fourrures comme une bête
malfaisante au fond de son repaire, elle jouissait visiblement de voir pâlir le
beau visage de la jeune femme. Celle-ci, finalement, haussa les épaules.
– Tu
es folle ! lança-t-elle méprisante.
– Que
non pas ! Le Très Saint-Père qui est fort ami de notre famille et dont
Francesco Pazzi, mon beau-frère, est devenu le banquier, le Très Saint-Père
donc, après de longues hésitations sur le sort qu’il convenait de te réserver,
a bien voulu se rendre à notre avis. Te tuer serait trop simple, même si l’on
ajoutait à la chose quelques agréments, et surtout cela ne servirait à rien.
Tandis que, mariée à Carlo Pazzi, mon neveu, tu serais encore de quelque
utilité pour notre maison.
– Je
suis déjà mariée.
– Je
sais. Compliments, d’ailleurs ! Le comte de Selongey, le très séduisant
ambassadeur du duc de Bourgogne à Florence ! Tu avais réussi là un joli
coup ! Malheureusement il est mort, lui aussi, et tu es veuve... comme
moi.
– Et
j’entends le rester ! Ainsi, après avoir clamé à la face de Florence que j’étais
indigne du plus misérable des hommes, après avoir tenté de me réduire à l’état
de fille publique, tu as l’audace de vouloir me marier à ton neveu ? Qu’est-ce
qui te prend ? Tu oublies que tu m’as ruinée ?
– Ruinée ?
Crois-tu ? Il me semble que tu ne l’es pas autant que tu le prétends. Les
Médicis y ont veillé. Agnolo Nardi, à Paris, est en train de te constituer une
gentille fortune, sans compter ce que les Médicis ont mis sous séquestre, comme
la villa de Fiesole, et qui pourrait te revenir. Sans compter la faveur du roi
de France ; sans compter...
– Tu
comptes trop ! gronda Fiora écœurée. J’ai honte que tu aies porté, étant
fille, le nom de Beltrami et je regrette que tu aies quitté celui de Pazzi qui
te convenait tout à fait car c’est une famille de forbans. Je n’infligerai
jamais à mon fils la honte de voir sa mère porter ce nom-là ! Va rêver
ailleurs !
– Tu
pourrais bien être obligée d’admettre que mes rêves sont simple réalité. Le
choix qui t’est offert est réduit : ou tu épouses Carlo ou tu seras
exécutée.
– Sans
attendre la réponse du roi de France ? Cela m’étonnerait.
– Pauvre
innocente ! Ta mort est déjà décidée. Si le roi fait droit aux
réclamations du Saint-Père, il recevra
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