Fiora et le Pape
furieux d’apprendre que...
– Que
vous avez pris froid cette nuit ? Je n’en suis pas surpris le moins du
monde... ni furieux d’ailleurs.
– Mais
tu as dit que tu souperais avec elle, fit la duègne qui semblait prête à
pleurer.
– Je
ne vois pas où est la difficulté, Juana ? On placera la table près du lit
et tu feras servir des nourritures légères. Allons, calmez-vous toutes les deux !
Le mal vient de ce que, cette nuit, je ne vous ai pas présentées l’une à l’autre.
J’avais besoin de me reposer et pensais le faire dès votre réveil, ma chère
amie.
Il
expliqua aussitôt à Fiora que « dona Juana de Llançol » était une
cousine éloignée dont la famille avait eu des malheurs et qu’il avait ramenée
de Valence lorsque cinq ans plus tôt le pape l’avait envoyé dans son pays natal
en ambassade. Elle veillait « aux armoires et aux servantes de la maison »
et possédait toute sa confiance plus une part de son affection.
A
Juana qui l’écoutait avec des larmes d’attendrissement, il exposa que son
invitée n’était pas « cette fille », mais « une noble dame venue
de France » qui avait eu le malheur de déplaire à Sa Sainteté et à
laquelle il convenait d’offrir une large hospitalité.
Ce
discours, très naturel en apparence, n’en éveilla pas moins la défiance de
Fiora. Pourquoi donc Borgia avait-il attendu qu’elle soit arrivée chez lui pour
prévenir Juana ? D’autant que, la nuit dernière, celle-ci les attendait
visiblement, qu’elle n’avait pas posé la moindre question ni relevé seulement
un sourcil en constatant que la nouvelle venue portait la robe des novices.
En
rapprochant cette singularité des confidences d’Antonia Colonna à propos de « l’homme
le plus charnel qui soit », Fiora en vint à se demander s’il n’était pas
dans ses habitudes d’aller courir de nuit les rues de Rome pour en ramener des
filles et – pourquoi pas après tout ? – de débaucher de temps en temps la
pensionnaire de quelque couvent. Sans doute ne les gardait-il pas longtemps, et
de là venait ce grand affolement de la duègne en constatant que la dernière
trouvaille avait jugé bon de tomber malade. Ses soupçons se confirmèrent en
entendant Juana bougonner :
– Il
fallait me prévenir que ce n’était pas comme d’ha... Un geste autoritaire lui
coupa la parole et elle parut se rétrécir sous le regard étincelant dont il la
couvrait. Fiora pensa qu’il était temps d’intervenir si elle ne voulait pas se
faire de cette femme, visiblement sotte, une ennemie mortelle.
– Dona
Juana s’est donné beaucoup de mal pour moi, Votre Grandeur, et j’ai bien peur
de l’en avoir fort mal payée, mais je vous avoue que la seule idée de souper me
lève le cœur. La simple odeur des mets...
– Vous
est insupportable ? fit Borgia avec bonne humeur. Eh bien, ma chère,
soignez-vous, je vais aller souper chez une amie. Mais peut-être pouvons-nous
bavarder un moment ?
– Bien
sûr, approuva Fiora enchantée d’en être quitte à si bon compte. Je serai heureuse d’avoir des nouvelles.
– C’est
ce que je pensais. Va me chercher un verre de vin d’Espagne, Juana, puis
laisse-nous ! Tu reviendras ensuite accommoder donna Fiora pour la nuit.
Il
suivit du regard la sortie de la duègne, puis tira un siège près du lit.
– Je
crois, fit-il en baissant le ton, que vous trouverez intéressantes les
nouvelles que j’apporte. Je tenais compagnie au Saint-Père dans sa volerie où
il s’occupait à nourrir son aigle quand Leone da Montesecco, le chef de ses
gardes, chargé d’aller vous chercher à San Sisto, en est revenu bredouille.
– Et
alors ?
– Je
ne me souviens pas l’avoir déjà vu dans une telle colère. Tout le monde en a eu
sa part : le capitaine parce qu’il ne vous ramenait pas, le cardinal d’Estouteville
convoqué sur l’heure et accusé aussitôt de vous donner refuge, et même l’aigle
qui a été privé de la moitié de son repas : le pape l’a planté là pour
regagner sa chambre où il a cassé deux ou trois vases afin de se détendre les
nerfs. Le reste s’est passé sur donna Boscoli qui arrivait tout juste avec son
neveu. Dites-moi, donna Fiora, elle est allée au couvent hier ?
– Oui,
mais le pape doit le savoir : elle avait une autorisation de visite.
– C’est
aussi ce qu’a dit mère Girolama. Elle a ajouté que la dame, toujours au nom du
pape, lui avait donné
Weitere Kostenlose Bücher