Fiora et le Pape
migraine.
Une
main fraîche se posa sur son front et la femme dit d’un ton mécontent :
– C’est
bien ce que je craignais ! Tu as pris froid en dépit de mes soins et tu as
de la fièvre. Rodrigo ne sera pas content !
– Comment
va-t-il ? demanda Fiora dont la phrase s’acheva par un nouvel éternuement.
– Il
se porte merveilleusement comme d’habitude, quelques gouttes d’eau ne sauraient
altérer sa superbe santé. Il possède la force du taureau de nos armes ! ajouta
la femme avec une soudaine exaltation qui surprit Fiora.
Cette
créature était d’ailleurs assez surprenante en elle-même pour que Fiora s’y
intéressât en dépit de son état quelque peu brumeux. Grande et peut-être aussi
forte que Borgia, mais osseuse, elle avait une longue figure olivâtre que ne
flattait guère son sévère costume noir de duègne espagnole, à peine adouci par
le mince ruche blanc qui terminait son haut col montant fermé par une belle
agrafe d’or et de perles. Un voile noir était épinglé sur ses cheveux coiffés
en tour. Enfin, un trousseau de clefs pendait à sa ceinture de cuir.
– Je
voudrais le remercier, dit encore Fiora. Pensez-vous qu’il m’en donnera l’occasion
aujourd’hui ?
– Il
m’a annoncé qu’il viendrait te voir ce soir, fit la femme d’un ton mécontent.
Il a même ordonné que l’on prépare à souper dans cette chambre et il va être
très déçu de te trouver dans cet état.
– Après
la nuit que j’ai passée, cela n’a rien d’étonnant. En outre, je ne suis pas « dans
cet état ». J’ai un gros rhume et j’espère que, dans deux ou trois jours,
il n’y paraîtra plus.
– Tu
ne le connais pas. Il a horreur de la maladie et des malades. Et regarde-toi !
ajouta-t-elle en tendant un miroir à main : Tu as le nez rouge, la figure
enflammée... Tu n’es pas montrable.
– Eh
bien, ne me montrez pas ! grogna Fiora que cette femme commençait à agacer
et qui détestait cette façon qu’elle avait de la tutoyer. Dites à Sa Grandeur
ce qu’il en est quand elle rentrera et suppliez-la de m’accorder quelques jours
pour être... montrable.
– Nous
verrons cela ! Pour l’instant, il faut faire tout ce qu’il est possible
pour te guérir.
Elle
se mit à la tâche sur l’heure et entreprit de noyer sa malade dans les tisanes,
le miel et le lait de poule, lui fit ingurgiter force pilules, l’obligea à
prendre deux fumigations dont la malheureuse émergea plus rouge que jamais et
prétendit même lui administrer un clystère auquel Fiora se refusa avec la
dernière énergie. Elle ignorait où en était sa fièvre, mais elle se sentait à
présent complètement abrutie et, en outre, elle avait mal au cœur.
– Laissez-moi
tranquille ! cria-t-elle. Vous allez me tuer à force de médecines car,
sachez-le, je n’en prends jamais !
– Quand
on est malade, on se soigne ! glapit l’autre. Tu dois avaler encore ce
sirop bien propre à adoucir la gorge et...
– Je
n’avalerai rien du tout ! La seule chose dont j’ai besoin, c’est qu’on me
laisse dormir en paix !
Empoignant
draps et couvertures, elle se disposait à disparaître dessous quand l’entrée du
cardinal mit fin à la scène. Fiora ne le reconnut pas tout de suite. Il portait
en effet un élégant pourpoint court de velours noir brodé d’or, des chausses
collantes qui rendaient pleine justice à ses jambes qu’il avait fort belles et,
surtout, il était tête nue, ce qui permettait de constater qu’il commençait à
perdre ses cheveux.
En
découvrant les deux femmes dressées face à face comme des poules en colère, l’une
rouge, échevelée et cramponnée à ses draps, l’autre brandissant un flacon et
une cuillère, il éclata de rire.
– Vous
ne pourriez pas crier moins fort ? fit-il en reprenant son souffle. On
vous entend jusqu’au bout de la galerie. J’aimerais qu’au moins pendant
quelques jours, la présence de donna Fiora chez moi reste ignorée de la majeure
partie des domestiques.
Brandissant
toujours sa fiole et sa cuillère, la duègne fonça sur lui comme si elle
souhaitait le pourfendre.
– Cette
fille est malade, Rodrigo. Tu ne peux pas souper avec ça ? Regarde-là !
Elle est à faire peur ! J’ai fait tout ce que j’ai pu pour la soigner,
mais elle prétend m’en empêcher.
– Je
prétends surtout que cette femme arrête de m’empoisonner avec ses drogues. Mais
elle ne cesse de répéter que vous serez sûrement
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