Fiora et le Pape
l’ordre de fermer votre porte à clef.
– Et
le pape n’en savait rien ? Ce n’est tout de même pas elle qui a fait
disposer des gardes devant les portes ?
– Non.
L’ordre est bien venu du Vatican, mais la permission de vous visiter était
fausse. Le Saint-Père a voué donna Boscoli aux gémonies en l’accusant d’avoir
tout fait manquer pour le plaisir d’aller vous narguer.
Il se
tut. Juana revenait avec un plateau d’argent sur lequel un magnifique verre de
Venise rouge et or voisinait avec un flacon de même origine. Elle posa le tout
sur une table, emplit le verre avec les gestes pieux d’un officiant à l’autel
et vint l’apporter à son cousin dans une sorte de génuflexion qu’il parut
considérer comme toute naturelle.
– Merci,
Juana ! Tu peux te retirer à présent. Je te rappellerai tout à l’heure.
– La
colère du pape n’est pas tombée aussi sur vous ? s’étonna Fiora.
– A
cause de ma visite de la semaine passée ? La prieure de San Sisto est une
femme intelligente. Elle a jugé préférable de n’en point parler, estimant sans
doute que, si elle se taisait, je pourrais lui apporter une aide. Ce que j’ai
fait. J’ai expliqué au pape que tout était de la faute de la dame Boscoli qui
vous avait effrayée au lieu de laisser le Saint-Père conduire l’affaire comme
il l’entendait. J’ai ajouté que vous êtes sans doute une femme pleine de
ressources. Ensuite, la bagarre est presque devenue générale quand le cardinal
d’Estouteville qui avait spontanément proposé de laisser visiter son palais est
revenu, cette fois en accusateur.
– En
accusateur ? Et qui donc a-t-il accusé ?
– Mais
le pape, ma belle amie, le pape tout simplement. Le cardinal camerlingue n’est
pas n’importe qui, et il est en outre le plus puissant des cardinaux français.
Il a bien fallu lui dire ce qui s’était passé au juste et en apprenant le choix
qui allait vous être offert de la hache du bourreau ou de la main du triste
Carlo, il est monté sur ses grands chevaux, protestant de l’injure faite à son
souverain puisque l’on disposait ainsi de vous sans même attendre la réponse du
roi de France. Il menaçait de se plaindre au roi. Je n’entre pas dans le détail
des propos échangés : ils étaient si vifs que ma mémoire préfère les
oublier.
– Mgr
d’Estouteville n’a donc pas peur du pape ?
– Pourquoi
voulez-vous qu’il en ait peur ? Il représente ici le roi Louis de France,
il est le maître de la diplomatie vaticane, il est aussi le cardinal le plus
riche de tous et, en plus, il est de sang royal. C’est une chose qui compte
pour le pauvre moine franciscain, sorti de rien, qu’il a aidé à accéder au
trône de saint Pierre.
– Je
vois. Quelle a été la conclusion de cette... bagarre ?
– Eh
bien, pour l’instant, chacun reste sur ses positions. Le Saint-Père clame que s’il
met la main sur vous, il vous fera exécuter que cela plaise ou non à la donna
Boscoli, et le cardinal précise, car ce n’est pas un braillard tant s’en faut,
que si le pape dispose de vous sans l’agrément du roi Louis, les alliances
resteront ce qu’elles sont et qu’il ne reverra jamais, sinon en rêve, le moine
Ortega et le cardinal Balue.
Fiora
garda le silence un moment, jouant avec le tissu soyeux de son drap qu’elle
enroulait et déroulait autour d’un de ses doigts.
– Et
ce mariage dont m’a parlé... la dame Boscoli ? J’aimerais avoir votre avis
à ce sujet.
Borgia
considéra un instant la jeune femme pelotonnée dans la soie blanche de ses
draps qui laissaient dépasser la douce rondeur d’une épaule et son œil s’alluma
en imaginant d’autres rondeurs, plus savoureuses encore, qui se cachaient sous
le luxe de ce lit princier.
– Quel
avis puis-je avoir ? Il faut vous haïr bien fort pour oser proposer une
union entre vous, belle parmi toutes les belles, et ce malheureux.
– Jadis,
Hieronyma voulait me marier à son fils, Pietro Pazzi, qui était un monstre et
qui suait la méchanceté par tous les pores de sa peau. C’est à cause de lui qu’elle
a fait tuer Francesco Beltrami, mon père. En dépit de ma naissance...
irrégulière, Hieronyma est possédée par la rage de me marier dans sa famille,
tant elle craint qu’une parcelle, si minime soit-elle, de notre fortune
détruite puisse lui échapper.
Quittant
son siège, Borgia alla remplir à nouveau son verre et, au moment d’y poser ses
lèvres,
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