Fiora et le Pape
d’opprimer,
d’égorger au coin des rues, liberté de transformer Rome en coupe-gorge, votre
liberté à vous et à vos pareils. La mienne n’est pas celle qui vous permet à
vous, prince de l’Église, d’enlever nuitamment une religieuse. Evidemment, elle
est plus que belle !
– Je
ne suis pas une religieuse, protesta Fiora dont la lanterne éclairait le visage
à cet instant. Je suis une prisonnière qui s’évade. A présent, laissez-nous
poursuivre notre chemin car, si je suis reprise, je serai mise à mort !
– Ah !
La
lanterne ne s’abaissant pas. L’homme scrutait les grands yeux gris qui le
regardaient avec sévérité comme s’il cherchait à pénétrer leur vérité. Ceux-ci
ne se baissèrent pas davantage.
– Qui
te menace ?
La
curiosité de cet inconnu ne choqua pas Fiora. Quelque chose lui disait qu’elle
pouvait lui faire confiance et, en dépit de la main que Borgia posait sur son
bras pour l’inciter à la prudence, elle répondit :
– Le
pape et certains de son entourage dont le cardinal Borgia essaie de me
protéger. Écoute ! Nous n’avons que trop perdu de temps...
Le pas
ferré d’une troupe faisait résonner en effet les échos de la nuit. La milice du
Soldan – le guet romain – ne servait pas à grand-chose si l’on considérait le
nombre de meurtres qui se perpétraient quotidiennement, mais il fallait tout de
même compter avec elle, lorsqu’on la rencontrait, si l’on ne voulait pas tâter
des cachots de la Torre di Nona qui étaient sous sa juridiction.
– Ils
ne sont pas loin, dit Borgia, et nous n’avons plus de chevaux. Il faut marcher,
et marcher vite.
– Je
vous accompagne, déclara Infessura en allant détacher ses chiens. Il y a encore
un mauvais endroit près des ruines de la colonne de Marc Aurèle. Zeus et Héra
peuvent vous être utiles.
Le
scribe républicain, sa lanterne et ses molosses prirent la tête. Solidement
soutenue par le bras du cardinal, Fiora suivait de son mieux car, bien que le
Corso fût la plus grande voie de Rome, son sol où alternaient dalles antiques
et gros pavés offrait maints obstacles au piéton qui s’y engageait de nuit. La
pluie avait disparu comme par magie avec les malandrins, mais les gouttières la
remplaçaient avantageusement. On passa sans encombres l’endroit délicat et,
comme la rue s’élargissait encore, on put cheminer de front.
– Est-il
indiscret, demanda Borgia à leur compagnon, de te demander ce que tu fais dans
les rues, la nuit et par un temps pareil ?
– Non.
Il y a trois raisons à cela : j’aime Rome, j’aime savoir ce qui s’y passe
quand les gens sont censés dormir et j’aime la nuit. Je dors peu et le jour m’est
contraire. Je l’emploie à étudier et à écrire tout ce que j’ai appris.
– Cela
veut dire que, tout à l’heure, tu raconteras dans ton « diario »
notre rencontre ?
– J’écris
pour ceux qui viendront après moi, non pour les sbires du Vatican. Ton nom ne
sera pas mentionné... et je ne connais pas celui de cette jeune dame. Je ne
veux savoir qu’une chose : elle est une victime et, comme telle, tous les
droits à mon aide lui sont acquis. A présent, si vous m’avez menti, c’est
affaire entre vous et votre Dieu.
– Nous
n’avons aucune raison de mentir, coupa Fiora. Mon seul regret est de ne pouvoir
te remercier.
– Souris-moi
une seule fois et je serai payé !
On
arrivait à destination, c’est-à-dire en face du moins conventionnel des palais
romains. Quelques années plus tôt, en effet, le cardinal Borgia avait acheté,
pour deux mille florins d’or, une enfilade de vieilles maisons qui servaient
jadis à la Monnaie et que l’on appelait en conséquence la Zecca. Ces maisons
avaient à ses yeux l’avantage d’être assez loin du Vatican car elles se
situaient dans la rue qui, au-delà du Tibre, allait du château Saint-Ange à la
place principale du quartier des étrangers [xv] .
De cet ensemble un peu disparate, la fortune du vice-chancelier avait tiré une
résidence d’une grande richesse ornementale que le peuple romain ne cessait d’admirer
depuis qu’il l’avait découverte, en 1462, lors de la grande procession qui
conduisait à Saint-Pierre la châsse contenant le crâne de saint André rapporté
de Grèce par le despote de Morée. Avec une certaine arrière-pensée et l’espoir
qu’un jour ou l’autre le cardinal Borgia deviendrait pape, car la coutume voulait
que le palais de l’Élu fût
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