Fiora et le Pape
sa
respiration. Peu à peu, elle devint plus calme cependant que son visage
retrouvait sa couleur normale. Quand il se sentit mieux, il poussa un grand
soupir puis se retourna et regarda la jeune femme. Assise dans un haut fauteuil
tendu de velours vert, elle attendait sans dire un mot. Le miroir qu’elle avait
gardé reposait sur ses genoux.
– Pardonnez-moi !
Je n’aurais pas dû donner libre cours à ma colère, mais lorsque je vous ai vue
à la fenêtre, j’ai eu très peur.
– Sornettes !
J’avais un voile sur la tête et je portais un masque. Dona Juana a d’ailleurs
eu assez de mal à me les faire accepter, mais c’était sa condition pour me
laisser respirer un peu à cette malheureuse fenêtre.
– Vous
ne savez pas ce que vous dites. En dépit de cela, vous pouviez être reconnue.
– Reconnue ?
Dans une ville où personne ne me connaît ?
– Excepté
tous ceux qui vous ont vue au Vatican lors de votre arrivée, excepté vos
compagnons de voyage et les moniales de San Sisto.
– L’exemple
est heureux. Elles sont cloîtrées !
Il
soupira de nouveau et, tirant un autre fauteuil, vint s’asseoir en face d’elle.
– C’était
tout de même une grave imprudence. Tous les sbires de la ville sont encore à
votre recherche. En outre, vous ignorez ce qu’a trouvé le pape.
– Je
note que, pour une fois, vous ne dites pas le Saint-Père, une appellation qui
lui va aussi mal que possible. Eh bien, qu’a-t-il trouvé ?
– Domingo,
l’eunuque nubien qui vous gardait, possède un assez joli talent pour le dessin.
Il a fait de vous quelques esquisses, fort ressemblantes pour être faites de
mémoire, que les crieurs publics ont montrées dans les carrefours. Et comme une
somme de cent ducats est offerte à qui vous livrera...
Cette
fois, Fiora pâlit. Elle mesurait à cet instant la puissance de la haine de
Hieronyma, puisque cette misérable femme avait su la communiquer au pape. C’était
à la fois absurde et terrifiant, insensé aussi. Quel génie malfaisant avait
donc présidé à sa naissance pour qu’elle se trouvât aussi continuellement en
butte à l’hostilité des puissants de la terre ? Elle avait dû faire face
tour à tour à sa chère ville de Florence soulevée contre elle, puis au
Téméraire, le plus redoutable prince qui eût régné sur l’Europe et, à présent,
au pape ! Elle avait aimé un homme et cet homme lui avait été enlevé par
la mort. Le sang incestueux de ses veines était-il vraiment maudit ? Les
événements qui ne cessaient de se tourner contre elle en étaient peut-être la
preuve.
Pour
lutter contre l’angoisse qui montait dans sa gorge, elle serra, de ses deux
mains, les accoudoirs du fauteuil. Le miroir glissa de ses genoux et se brisa.
Il y eut un silence. Le cardinal et la jeune femme regardaient les éclats
répandus sur le sol puis, brusquement, Fiora se leva :
– Monseigneur,
dit-elle, vous perdez votre peine en me cachant chez vous et vous faites courir
un danger à votre maison. Faites-moi accompagner jusqu’au Vatican. Je vais me
livrer.
Instantanément,
il fut debout et un éclair brilla dans ses yeux noirs. Ses deux mains se posèrent
sur les épaules de la jeune femme.
– Vous
êtes folle ! Je ne vous ai pas dit cela pour vous réduire au désespoir,
mais pour que vous compreniez l’intérêt que vous avez à être prudente.
– Je
sais... mais je n’ai plus envie d’être prudente. Je veux mourir, un point c’est
tout ! La seule chose que je vous demanderai sera de remettre vous-même au
cardinal d’Estouteville la lettre que je vais écrire. Il faut que le roi Louis
prenne soin de mon fils et de ceux qui me sont chers.
– Mais
vous ne mourrez pas ! Si vous vous livrez, vous serez aussitôt mariée à
Carlo Pazzi...
– Cependant,
l’autre soir, vous disiez qu’au cours de sa dispute avec le cardinal, le pape
criait qu’il me ferait exécuter que cela plaise ou non à Hieronyma ?
– Elle
l’a déjà ramené à son propre point de vue. Quand il est question d’argent, Sa
Sainteté devient très malléable.
– Cela
n’a pas de sens. Ma fortune n’est plus, et de loin, ce qu’elle était autrefois.
En outre, je ne vois pas comment mon époux, en admettant que j’en prenne un, pourrait
hériter des biens français ou bourguignons qui appartiennent naturellement à
mon fils.
– Vous
êtes certaine de ne plus rien posséder à Florence ?
– Plus
rien du tout. Le palais
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