Fiora et le Pape
Beltrami a brûlé, la villa de Fiesole a été confisquée
et les affaires de mon père sont gérées par Angelo Donati.
– Angelo
Donati est mort. Lorenzo de Médicis a donc repris lui-même la gérance de vos
biens et l’on dit qu’au cas où vous songeriez à rentrer à Florence, vous
retrouveriez votre villa... et quelques petites choses.
– On
dit ? Qui dit cela ?
– Des
bruits qui courent, à peine des courants d’air... Sa Sainteté entretient des
espions très actifs dans la cité du Lys rouge. Vous n’ignorez pas qu’elle a,
sur cette belle ville, des idées bien arrêtées ?
– Mettons
les choses au pire : Riario prend Florence. Il aura tous les biens qu’il
veut.
– Oh,
mais non ! Le pape souhaite qu’il y règne, mais il ne saurait être
question de violer les lois et de déposséder les habitants. On sait trop ce qu’ils
sont capables de faire. Voilà pourquoi il s’intéresse tant à ce mariage. Les
Pazzi d’ici rejoindraient ceux qui sont encore là-bas et rentreraient en
triomphateurs... mais légaux.
– Et
moi je rentrerais dans leurs bagages ? Grand merci.
– Ça,
c’est moins sûr, fit Borgia avec un demi-sourire. Une fois mariée, je ne crois
pas que la dame Boscoli vous laisserait vivre longtemps. Croyez-moi ! Soyez
raisonnable et préparez-vous à souper avec moi. Je vais essayer de vous
distraire.
– Tout
dépend de la distraction !
Il
éclata de rire et s’éloigna vers la porte :
– Ne
me regardez pas de cet œil noir ! Je vous promets qu’il ne se passera
rien. Peut-être, ajouta-t-il avec un clin d’œil, que je ne vous trouve pas
encore assez dodue pour être dévorée ?
– Voilà
qui me rassure ! Vous n’êtes pas prêt d’être satisfait.
Le
souper, en effet, fut charmant. Fiora était heureuse d’apprendre que Lorenzo de
Médicis lui gardait une amitié fidèle et que peut-être, sous son égide, il lui
serait possible, un jour, de rentrer la tête haute dans la ville bien aimée.
Cette nouvelle changeait quelque peu ses plans de fuite. Sa première intention
avait été de voler une barque pour descendre le Tibre et d’essayer, parvenue à
la côte, de s’embarquer pour la Provence, mais ce n’était pas une bonne idée :
les bateaux de haute mer ne voyageaient pas durant l’hiver. Il fallait attendre
le printemps. En outre, elle ne possédait pas le moindre denier pour payer son
voyage. La possibilité de passer par Florence offrait des perspectives d’espoir
beaucoup plus larges. Soixante-dix lieues seulement entre Rome et la capitale
des Médicis ! Les pèlerins partant sur les chemins à la recherche des
grands sanctuaires parcouraient des routes bien plus longues et ces
soixante-dix lieues pouvaient se faire à pied.
Rodrigo
Borgia se montra, ce soir-là, l’hôte le plus attrayant qui soit. D’un naturel
gai, sa conversation agrémenta le repas composé d’huîtres, de petits calmars en
sauce brune et de volaille présentée à la romaine avec des poivrons, des
anchois, de la tomate et du jambon, le tout arrosé d’un joli vin de Frascati. Quant
au dessert de confitures, il s’accompagna de ce succulent muscat de
Montefiascone célèbre pour avoir causé, en 1111, la mort du cardinal Fugger.
Pour
amuser son invitée, Borgia lui raconta certains faits divers qui lui ouvrirent,
sur la vie romaine, des vues inattendues. Elle apprit ainsi que le rapt était
la distraction favorite de la noblesse : on enlevait une femme ou une
jeune fille, on l’emmenait dans un endroit écarté pour festoyer, après quoi l’on
ramenait l’héroïne involontaire de la fête à proximité de sa demeure. Cela
suscitait, bien sûr, des vengeances, mais la vengeance était élevée, à Rome, à
la hauteur des beaux-arts. Plus elle était cruelle et plus on l’applaudissait.
Borgia raconta ainsi l’histoire de la charmante Lisabetta, épouse de Francesco
Orsini, qui, ayant été surprise avec un autre homme, dut assister à la mort de
son amant, invité à un festin et tué à coups de bâtons au dessert. Ensuite, le
coupable fut mis en croix dans une chambre où, chaque nuit, Lisabetta était
liée au cadavre jusqu’au lever du jour, puis ramenée chez elle tant que le
soleil poursuivait sa course. Elle ne recevait pour toute nourriture que deux
tranches de pain et un verre d’eau.
Cette
fois, Fiora ne sourit pas. Horrifiée, elle dut avaler pour se remettre un plein
verre de vin.
– Et
qu’est-elle
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