Fiora et le Pape
venait l’heure du
sacrifice.
Ne
sachant plus que faire, la cousine de Borgia quitta la chambre sur la pointe
des pieds, en referma soigneusement la porte, mit la clef à sa ceinture et alla
se coucher mais, en dépit de la nuit blanche qu’elle avait passée, elle ne
réussit pas à trouver le sommeil et passa plusieurs heures à se demander ce qui
avait pu se produire entre cette étrange créature et son bien-aimé Rodrigo.
CHAPITRE
VIII LA NUIT DES SURPRISES
Fiora
mit quatre jours à guérir de son rhume et, durant tout ce temps, ne revit pas
Borgia. La dévotieuse Juana lui apprit que le cardinal était parti pour le
fameux couvent de Subiaco, dans les monts de la Sabine, qui faisait partie de
ses bénéfices et dont il ne reviendrait qu’à la fin de la semaine. Ce dont la
jeune femme se montra grandement soulagée. Elle profita de ce répit pour
achever de se rétablir et pour essayer de faire le point de sa situation.
Celle-ci
n’était guère brillante en dépit du fait que Fiora habitait une chambre
somptueuse, toute tendue de velours vert à crépines d’or dont le pavage, fait
de marbre de plusieurs couleurs, disparaissait sous un fabuleux tapis que les
femmes du lointain Kirman avaient semé de fleurs inconnues et d’oiseaux
fantastiques. Elle avait chaud -trop chaud même car Juana, craignant qu’elle ne
retombe malade, entretenait dans la pièce une chaleur de four – et elle était
presque trop bien nourrie par la duègne qui ne cessait de lui apporter
friandises et confiseries dans l’espoir de la voir engraisser.
– Tu
es trop maigre, reprocha-t-elle. Rodrigo aime les femmes un peu rondes avec des
chairs moelleuses. Sa maîtresse préférée, Vanozza, qui lui a donné ses deux
fils, Juan et César, est une blonde superbe qui a l’air d’être cousue dans du
satin blanc. Ses seins sont comme de jeunes melons et...
– Je
n’ai pas envie d’avoir des seins comme des jeunes melons et je refuse d’être
traitée comme une oie à l’engrais. Au lieu de m’apporter ces sucreries, vous
feriez mieux de me dire ce qui se passe en ville.
Rien.
Il ne se passait rien, du moins pour ce qu’en savait Juana. Les cris de guerre
des deux bandes rivales des Colonna et des Orsini troublaient chaque nuit, mais
Fiora les entendait comme les autres habitants de Rome, et, chaque matin, on
retrouvait un ou deux cadavres flottant sur le Tibre ou abandonnés au coin d’une
rue.
Guérie,
Fiora commença à s’ennuyer. La maladie au moins est une compagnie et, réduite à
celle de Juana, la jeune femme se mit à trouver le temps long car les ordres du
cardinal étaient formels : la porte de sa chambre devait rester fermée à
clef et, en aucun cas, elle ne devait en sortir. On pouvait faire confiance à
Juana pour les respecter.
Le
seul moment un peu agréable était le matin. Après son lever, Fiora prenait un
bain qu’on lui préparait dans une petite pièce attenante à la chambre et très
ornée elle aussi. Une vasque creusée dans le sol occupait presque toute la
place ; elle était assez grande pour que deux personnes pussent s’y
baigner ensemble, ce qui était, paraît-il, « un des grands plaisirs de
Rodrigo ». L’eau que montaient les esclaves du palais – il y en avait une
trentaine de couleurs variées – se vidait lentement par un étroit conduit qui
débouchait dans une gouttière. Baignée, ce qu’elle appréciait toujours
infiniment, Fiora était massée par une grande fille noire qui riait tout le
temps et la malaxait comme pâte à pain avec des huiles parfumées, ce qui était
moins agréable mais Fiora sortait de ses mains débordante d’une vitalité dont,
ensuite, elle ne savait plus que faire. Quand elle avait effectué le tour de sa
chambre vingt fois dans un sens et vingt fois dans l’autre, il ne lui restait
plus qu’une seule distraction : regarder par la fenêtre. Encore Juana ne consentait-elle
à en ouvrir une qu’après avoir appliqué un masque sur le visage de la jeune
femme et jeté un voile sur ses cheveux.
La
chambre occupée par Fiora était située, en effet, au plus haut de la tour
carrée sans laquelle un palais romain ne pouvait se concevoir. Immédiatement
au-dessus, il n’y avait que les créneaux en ailes de papillon et les deux
guetteurs qui se renouvelaient jour et nuit. Toutes les grandes demeures de la
ville offraient d’ailleurs cet aspect de forteresse, même si leurs murailles
étaient peintes et décorées,
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