Fiora et le roi de France
panser les
cruelles blessures subies par la ville. Il voulait rendre à la fois le goût du
travail et le goût de vivre à ses habitants.
– Jamais
prince, disait l’un d’eux, ne fut plus aumônier ni plus généreux de ses deniers
cependant qu’il vit, avec sa famille, dans un palais dont il ne reste plus qu’une
partie. Mais la ville passe avant le palais. Il s’efforce aussi d’aider les
couvents, dont certains ont été éprouvés, à reprendre vie.
– Il
n’a pas beaucoup de mal à se donner pour les chanoines de la collégiale
Saint-Georges. Ils sont toujours aussi gras, fit l’autre.
– Aussi
aide-t-il davantage les quelques bénédictins qui demeurent encore au prieuré
Notre-Dame. Ils ont charge de prier pour les morts des guerres bourguignonnes,
ce qui ne nourrit guère son homme.
– Ils
prient aussi pour l’âme pécheresse du Téméraire qui, lui, a grand besoin de
prières pour tout le mal qu’il a fait. On dit que Monseigneur René va assez
souvent se recueillir sur sa tombe où des cierges brûlent nuit et jour. Ce sont
les moines de Notre-Dame qui ont en charge cet entretien, mais il paraît que le
duc songe à fonder un couvent de cordeliers dont la chapelle deviendrait sa
propre sépulture et celle de ses descendants. Il ne veut pas être enterré
auprès de son ennemi.
– On
peut le comprendre, mais n’aurait-il pas été plus simple de renvoyer le
Bourguignon à Dijon ?
– Pour
réveiller là-bas les enthousiasmes ? Il est bon que, mort, le Téméraire
reste prisonnier !
– Je
ne suis pas sûr que ce soit une bonne solution. Des gens viennent de partout
pour voir sa tombe. Bientôt, l’endroit deviendra un lieu de pèlerinage.
Les
deux hommes avaient achevé leur repas et se levaient pour sortir après un salut
à la compagnie. Fiora les suivit des yeux, puis appela l’aubergiste d’un geste :
– Le
chemin est-il long d’ici à Nancy ? demanda-t-elle.
– Une
vingtaine de lieues. Pas grand-chose pour les bonnes jambes de votre cheval,
mon jeune seigneur. Vous avez envie, vous aussi, d’aller voir la tombe du duc
Charles ?
– Peut-être...
Et
comme Florent, surpris, la regardait avec de grands yeux, elle lui sourit
gentiment :
– Je
crois, lui dit-elle, que nous allons faire un détour par Nancy. Après tout, le
temps ne nous presse pas tellement.
– Avez-vous
vraiment envie de retourner là-bas ? fit le jeune homme abasourdi. Vous n’y
avez pas été tellement heureuse, pourtant.
En
effet, lorsque Léonarde et lui-même, guidés par
Mortimer,
avaient rejoint Fiora dans la capitale lorraine alors aux mains du Téméraire,
ils avaient trouvé Fiora non seulement prisonnière du duc, mais blessée et en
assez triste état 1
– Lorsque
vous y êtes venu, je ne l’étais pas, en effet, cependant après la mort du duc,
j’y ai connu trois jours de bonheur. Ce n’est pas beaucoup, trois jours, mais
ceux-là me sont infiniment précieux. En outre, il y a là-bas quelqu’un à propos
de qui j’ai fait, à Rome, une promesse. J’avoue que je l’avais un peu oubliée,
cette promesse, mais puisque notre chemin passe si près, je serais
impardonnable de ne pas la tenir.
Elle
se tut. Florent comprit qu’elle n’en dirait pas davantage et ne posa pas d’autre
question, sachant qu’elle n’y répondrait pas. Il se contenta d’escorter la
jeune femme jusqu’à sa chambre et de lui souhaiter une bonne nuit. Le
lendemain, au lieu de continuer sur Joinville et Chaumont, les voyageurs
prirent la direction de l’est afin de gagner Nancy.
Un peu
plus de deux années ne pouvaient suffire à guérir les innombrables blessures
subies par le duché de Lorraine, et les traces en demeuraient nombreuses au
long du chemin : villages incendiés où quelques maisons couvertes de
chaume neuf repoussaient courageusement sur les ruines, châteaux à demi
détruits, abbayes ou prieurés transformés en chantiers où les moines, perchés
sur des échelles et les manches retroussées, travaillaient de la truelle, de la
pioche ou du rabot ; chemins tellement défoncés par les charrois
militaires que l’herbe, comme derrière le cheval d’Attila, ne repoussait pas et
puis, dans les champs, un peu trop de femmes à l’ouvrage pour remplacer les
hommes qui ne reviendraient plus. Trop de croix neuves aussi dans les
cimetières ou même au bord des sentiers, là où des soldats sans nom étaient
tombés, amis ou ennemis. Pourtant, sous le soleil de
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