Fiora et le roi de France
donc ?
– Le
sort de Philippe. Ce qu’il est devenu. Voilà des mois que je le cherche et il
paraît fuir devant moi. Vous qui l’avez rencontré, à qui il a parlé, ne
pouvez-vous me dire où il allait quand il a quitté Bruges ?
Mme de
Schulembourg considéra la jeune femme avec une profonde commisération. Après l’avoir
poussée à se faire connaître, sa sympathie pour cette belle créature en qui
elle devinait une qualité de courage qu’elle avait toujours appréciée croissait
d’instant en instant :
– Si
je le savais, soupira-t-elle, je vous l’aurais déjà dit. Si vous êtes décidée à
poursuivre votre quête, c’est vers la Bourgogne que vous devriez diriger vos
pas.
– Vous
pensez qu’il y serait retourné ? Ce serait folie, car c’est miracle s’il a
échappé à l’échafaud et, pour ce que j’en sais, le roi Louis tient à présent
tout le pays dans sa main. On dit même que la Franche-Comté, ce dernier
bastion, est tombée elle aussi.
– Sans
doute, mais la Bourgogne occupée par les troupes françaises est fichée au cœur
du comte de Selongey comme une épine qui ne cesse de le blesser.
En
dépit de leur lenteur, les pas des deux femmes les avaient conduites jusqu’au
porche ouvrant sur les galeries de la cour d’honneur, à peu près vide à
présent.
– Puis-je
vous demander un conseil ? fit Fiora. Que feriez-vous à ma place ?
– Si
vous voulez vraiment le retrouver ou tout au moins trouver une trace, il faut
aller jusqu’à Selongey. L’homme désemparé cherche toujours à retrouver ses
racines, sa maison natale...
– J’y
ai pensé, bien sûr, mais le sire de La Trémoille doit faire surveiller le
château.
– Ce
n’est plus lui le gouverneur de la ville, c’est messire d’Ambroise qui est
infiniment plus conciliant. Mais où habitez-vous, vous-même ?
– En
Touraine. Et s’il était venu à moi, je saurais où il est. Il a coulé bien du
temps, depuis Noël...
– Alors
allez en Bourgogne et commencez par Selongey ! Il m’étonnerait bien que
vous n’y trouviez pas au moins un indice. Ceci dit, vous aurez sans doute du
mal à rencontrer votre époux car il doit se cacher. Et vous n’allez pas manquer
de courir des dangers, peut-être inutiles. Au fond, le plus sage serait de
rentrer chez vous et d’y attendre...
– Quoi ?
Qu’il revienne ? Il ne reviendra pas.
– Dans
ce cas, pourquoi vous obstiner ? Si encore vous aviez des enfants !
– J’ai
un fils ! dit Fiora qui ajouta avec amertume : Dieu sait – que nous n’avons
guère passé de temps ensemble, cependant ce mariage insensé a été béni par une
naissance. Seulement, Philippe l’ignore.
– Alors,
il faut aller le lui dire. Cherchez-le, trouvez-le, mais, si vos recherches
demeurent vaines, retournez auprès de votre enfant afin qu’il ne reste pas
orphelin. Dieu vous garde, ma chère ! Je prierai pour vous !
Attirant
Fiora sur son vaste giron, Mme de Schulembourg l’embrassa, traça du pouce, sur
son front, une petite croix, puis, resserrant autour d’elle son manteau fourré,
reprit de sa démarche claudicante le chemin du jardin. Fiora la regarda s’éloigner
et, après un dernier coup d’œil à ce palais splendide construit par les Grands
Ducs d’Occident mais qui n’était plus que le décor vide d’une grandeur défunte,
elle alla rejoindre Florent qui l’attendait en promenant les chevaux dans la
cour.
Depuis
leur départ, Fiora avait accoutumé le jeune homme au silence. Sans oser la
questionner lorsqu’elle revint avec des yeux gros de larmes difficilement
contenues, il comprit qu’elle avait hâte à présent de quitter cette demeure
princière où elle avait apporté sans doute beaucoup d’espoirs. Sinon, pourquoi
cette magnifique toilette ? Il se hâta de l’aider à se mettre en selle et
plaça doucement les rênes entre ses mains gantées. Sautant sur sa propre
monture, il précéda la jeune femme pour lui faire ouvrir la porte, s’écarta
afin de lui laisser le passage et se mit à sa suite. Lorsque l’on arriva devant
la Ronce Couronnée, il vit que de grosses larmes roulaient silencieusement sur
son visage dépourvu d’expression. Elles débordaient des grands yeux gris,
largement ouverts, et coulaient une à une en suivant le dessin délicat des
traits. C’était plus qu’il n’en pouvait supporter.
– Il
faut que cela cesse ! marmotta-t-il.
Aidant
Fiora à mettre pied à terre, il héla un
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