Fiora et le roi de France
printemps, tout ce monde à
l’ouvrage et les champs à nouveau ensemencés parlaient espérance et donnaient
une nouvelle preuve du courage d’un peuple.
La vue
de Nancy fut elle aussi réconfortante. On avait bouché les tranchées creusées
par les Bourguignons et, dans les faubourgs qui avaient tant souffert comme aux
remparts, de nombreux ouvriers travaillaient. Si les graves dommages subis par
une ville qui s’était battue jusqu’à l’extrême limite de ses forces, et jusqu’à
la victoire, restaient évidents, sous le ciel bleu piqué de légers nuages
blancs, on voyait briller des toits naguère effondrés. Sur les murailles, les
soldats du guet montraient des armes étincelantes, contrastant avec la mine
paisible de gens qui savent n’avoir rien à redouter : aucun ennemi ne
dévalerait plus des hauteurs de Laxou ou de Maxéville, aucun camp gigantesque n’étalerait
ses pavillons somptueux dominés par une grande bannière violette, noire et
argent. Les troupeaux qui ne seraient plus razziés paissaient tranquillement
dans les prés et l’étang Saint-Jean, près de sa commanderie en ruine, était
purifié des cadavres que la mort y avait semés.
La
ville était bien gardée. Les voyageurs s’en aperçurent quand, en passant la
porte de la Craffe qui ouvrait sur la principale rue de Nancy, ils furent
arrêtés au corps de garde. Là, un grand diable armé de pied en cap leur demanda
ce qu’ils venaient faire dans la ville.
– Un
pèlerinage, répondit Fiora. Nous venons prier au tombeau du dernier duc de
Bourgogne. Serait-ce défendu ?
– Non
pas, non pas... Mais des gens comme vous, il en vient de plus en plus. Vous
êtes de Bourgogne, bien sûr ?
– Presque.
Je suis la comtesse de Selongey et Monseigneur René a fort bien connu mon
époux. Moi aussi, d’ailleurs, mais je ne veux à aucun prix l’obliger à me
recevoir. Je désire seulement prier au tombeau...
– Où
comptez-vous demeurer ?
– Je
n’en sais rien. Il n’y avait plus beaucoup d’auberges quand le duc René a
reconquis sa ville, mais je suppose qu’il en existe une ou deux, à présent ?
– Ouais.
Mais si vous avez vécu le temps du siège, vous connaissez quelqu’un ici ?
Cette
forme d’inquisition commençait à agacer Fiora, déjà fatiguée par la route. D’autant
que, pendant qu’on l’interrogeait, des gens qui semblaient avoir parcouru un
long chemin entraient sans que personne leur demandât quoi que ce soit.
– Que
signifient toutes ces questions ? fit-elle avec hauteur. Si je vous
inspire le moindre doute, envoyez donc l’un de ces hommes qui jouent aux dés si
tranquillement demander au palais si je peux me rendre à la collégiale
Saint-Georges ! Je vous ai dit mon nom et c’est déjà une grande
concession.
– L’ennui,
c’est qu’il est difficile de vous croire. Vous avez l’air d’un garçon, et vous
me dites que vous êtes... comment déjà ?
– La
comtesse de Selongey. Je voyage habillée en homme parce que c’est plus commode,
mais si vous ne me croyez pas...
Elle
ôta le haut bonnet qui la coiffait, laissant dérouler au creux de son épaule
une longue tresse de cheveux noirs et brillants que l’homme considéra avec
intérêt.
– Cela
vous suffit ? Peu d’hommes possèdent, me semble-t-il, des cheveux aussi
longs ?
– Certes,
certes, fit l’autre têtu, mais c’est que justement votre affaire est de moins
en moins claire ! Une femme habillée en homme ! Qui a jamais entendu
parler de cela ?
– Plus
que vous ne pensez, mais apparemment vous n’êtes pas lorrain ?
– Pas
lorrain, moi, alors que je suis né natif de Toul ?
– N’avez-vous
jamais entendu parler de Jehanne la Pucelle ? Domrémy n’est pas si loin...
On ne l’a pas souvent vue porter des cotillons, celle-là !
– Certes,
certes ! fit le soldat qui devait affectionner cet adverbe, mais elle
faisait la guerre, elle... tandis que vous, vous seriez une espionne que ça ne
m’étonnerait pas !
– Nous
n’en viendrons pas à bout ! souffla Florent accablé.
Fiora
n’entendait pas se laisser arrêter par un militaire aux idées courtes. Entrant
dans le corps de garde, elle avisa du papier et une plume plantée dans un
encrier et, le tout posé sur une table, s’assit de guingois sur un tabouret et
griffonna quelques lignes qu’elle signa avant de revenir offrir le tout au
cerbère :
– Voulez-vous
me faire la grâce, fit-elle, suave, de faire
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