Fiora et le roi de France
porter ceci au palais qui est à
deux pas et que je connais bien pour l’avoir habité. J’attendrai ici la réponse !
Indécis,
le garde tournait et retournait la feuille quand un homme déjà âgé, élégamment
vêtu de beau drap fin d’un rouge profond sous un grand manteau jeté
négligemment sur ses épaules, entra au corps de garde :
– Sergent
Gachet, fit-il, je suis venu vous prévenir que j’attends un convoi d’ardoises
que j’ai commandé de compte à demi avec messire de Gerbevillers, bailli de
Lorraine, et j’espère que vous le laisserez passer plus facilement que mes
farines de la semaine dernière.
– Bien
sûr, messire Marqueiz, bien sûr ! fit l’autre déjà tout sourire et qui,
sans son armure, se fût sans doute plié en deux. Je suis, vous le savez, tout
dévoué à vos ordres...
Mais
le nouveau venu ne l’écoutait plus. Il regardait le faux garçon et déjà, un
large sourire sur son visage creusé de petites rides fines, tendait les mains
en un geste de bienvenue :
– Donna
Fiora ! C’est bien vous, n’est-ce pas ?
– C’est
bien moi, messire Marqueiz, s’écria-t-elle en répondant spontanément, des deux
mains, à cet accueil chaleureux. Très heureuse de vous voir...
– J’espère
que vous veniez chez nous ?
– Je
ne me le serais pas permis. Je vous ai, jadis, beaucoup trop encombrés, vous et
dame Nicole.
C’était
en effet chez l’échevin Georges Marqueiz et sa femme qu’elle avait été
transportée après la blessure reçue lors du duel entre Philippe de Selongey et
Campobasso 1 Elle y avait connu l’hospitalité la plus attentionnée et c’était
dans leur maison qu’un an plus tard, elle avait vécu avec Philippe ces trois
jours gravés si profondément dans son souvenir. Pendant ce temps, l’échevin
ouvrait sa demeure, l’une des rares restées debout après le siège, à la
dépouille mortelle du Téméraire dont le cadavre défiguré et à demi dévoré par
les loups avait été retrouvé dans les roseaux gelés de l’étang Saint-Jean.
– Ne
dites surtout pas cela à Nicole ! dit l’échevin. Naturellement, je vous
emmène ! N’oubliez pas mon convoi, sergent Gachet ?
– Certes,
certes, messire Marqueiz ! Il en sera fait comme vous le désirez !
Un
instant plus tard, Fiora remontait la rue Neuve au bras de cet ancien ami,
suivie de Florent qui menait les chevaux en bride. Peut-être eût-elle préféré
passer inaperçue dans une ville qui avait joué un si grand rôle dans sa vie,
mais cette rencontre lui apparut plus que bienvenue, inespérée quand elle
apprit que le duc René était absent et s’était rendu à Neufchâteau. Jamais sa
lettre ne serait parvenue à son destinataire et elle serait peut-être restée
indéfiniment au corps de garde, à moins que le sergent Gachet ne l’eût tout
bonnement refoulée.
La
maison, proche de l’église Saint-Epvre, qui, au contraire de beaucoup d’autres,
n’avait pas trop souffert de la guerre, offrit à Fiora l’image de ses souvenirs
doux et amers sans qu’elle pût dire si les premiers l’emportaient sur les
seconds. Elle y avait soigné une blessure à l’épaule, mais elle y avait
retrouvé Léonarde venue contre vents et marées auprès de « son agneau ».
C’était là qu’elle avait vécu le temps radieux de ses retrouvailles avec
Philippe, mais aussi, hélas, sa rupture, cette rupture qu’elle ne cessait à
présent de se reprocher comme la plus grande faute qu’elle eût commise.
Dame
Nicole l’accueillit aussi naturellement que si elles s’étaient quittées depuis
peu. Cette grande bourgeoise, assez froide et volontiers distante, l’embrassa
comme si elle eût été sa propre sœur et Fiora en conclut qu’elle était vraiment
la bienvenue. Pourtant quand son hôtesse ouvrit devant elle la porte de la
chambre dont elle était partie, un matin de janvier, drapée dans un drap de lit
comme une reine de théâtre, elle éclata en sanglots.
Interdite,
Nicole Marqueiz passa un bras autour de ses épaules et voulut l’entraîner :
– Pardonnez-moi !
murmura-t-elle. Je vais vous loger ailleurs.
– Non...
non, je vous en supplie ! N’en faites rien ! dit Fiora en s’efforçant
de refouler ses larmes. Ceci n’était qu’un premier mouvement que je n’ai pu
maîtriser, mais il est bon pour moi de revenir ainsi en arrière, même si c’est
un peu cruel. En fait, c’est un pèlerinage au passé qui m’amène aujourd’hui
Weitere Kostenlose Bücher