Fiora et le roi de France
l’aimais... beaucoup
et j’ai préféré rompre tout lien entre nous. Il me semblait que ce serait plus
facile et, effectivement, cela le fut un temps. Auprès de Monseigneur Charles,
les choses étaient différentes et, avec lui, tout devenait possible, surtout
les plus beaux rêves de chevalerie. Cette vie me convenait, je me sentais
presque heureux. Et puis vous êtes venue et, auprès de vous, j’ai vécu mes
jours les plus doux...
– Vous
lui écriviez encore, à cette époque, puisque vous lui avez parlé de moi ? dit
Fiora avec sévérité...
– C’est
vrai. J’ai cessé peu après votre arrivée. Je n’avais plus de nouvelles depuis
quelque temps et je l’ai crue mariée. Pourquoi ne m’a-t-elle rien dit ?
– Peut-être
parce que vous lui avez chanté mes louanges avec un peu trop d’enthousiasme. C’est
une belle sottise, mon ami !
– Mais
je pensais chacun des mots que j’écrivais. Vous avez enflammé mon
imagination... et mon cœur aussi. Un petit peu.
– Antonia,
elle, a cru que c’était beaucoup, et c’est là votre sottise : car elle
vous aime, elle vous aime de toute son âme, et une âme comme la sienne ne se
reprend jamais !
Sans
fausse honte, le jeune homme cacha sa figure dans ses mains. Au mouvement de
ses épaules, Fiora comprit qu’il pleurait et elle s’approcha lentement de lui.
Elle avait envie de le prendre contre elle, de le bercer comme l’enfant
malheureux qu’il était, mais elle n’osa pas : il n’était plus tout à fait
celui qu’elle avait connu et elle craignit de le choquer.
– Si
je comprends bien, murmura-t-elle, c’est un affreux malentendu qui vous a
poussé à entrer ici ? Vous l’aimiez, vous aussi ?
– Je
n’en sais plus rien à présent. Ce que je sais, c’est qu’en ce maudit mois de
janvier j’ai vu mourir mon prince alors que je restais en vie et vous... je
vous ai perdue aussi. C’était trop pour moi et l’idée de revoir Rome me faisait
horreur.
– Pourquoi
n’avez-vous pas voulu recevoir votre père ?
– Pour
la même raison. Retourner dans cette ville infâme... pour y faire quoi ?
– Peut-être
pour vous battre aux côtés des vôtres, gronda Fiora décidée à le pousser dans
ses derniers retranchements. La guerre sempiternelle entre les Colonna et les
Orsini en arrive à une phase d’autant plus dangereuse que ces derniers ont l’appui
total du pape. On met sa vie en péril en tuant un Orsini, mais on ne risque pas
grand-chose en abattant un Colonna. Votre palais del Vaso a été donné, au
mépris de tout droit, à un neveu de Sixte IV, et j’ai entendu dire que celui-ci
est décidé à faire disparaître votre oncle, le protonotaire, qui se permet de
le gêner...
– Mon
Dieu ! J’ignorais tout cela.
– Vous
l’auriez su si vous aviez consenti à entendre votre père. Aimez-vous Dieu au
point de vous consacrer à lui dans ce trou à rats ? Vous n’en pourrez plus
sortir si vous prononcez vos vœux... et vous serez obligé de les prononcer un
jour. Alors, c’en sera fini de vos romantiques visites au tombeau du duc
Charles. D’ailleurs, restera-t-il ici ?
– Savez-vous
quelque chose à ce sujet ? balbutia Battista devenu blême.
– J’en
sais ce qui court les rues et les auberges de Bruges, d’où je viens. La
duchesse Marie souhaite vivement que le duc René lui rende le corps de son père
pour le faire enterrer à la chartreuse de Champmol, près de Dijon
– Vous
étiez à Bruges ? Vous voyagez donc beaucoup, donna Fiora ?
– Plus
que je ne le voudrais ! J’étais à Bruges en effet, car ayant rencontré le
Grand Bâtard Antoine, j’ai appris de lui que l’on avait vu mon époux, à la Noël
dernière, chez la duchesse. Voilà des mois que je cours après Philippe. J’ai
été le chercher près d’Avignon et à présent, ne sachant plus que faire, je me
rends à Selongey dans l’espoir d’y retrouver peut-être une trace... Mais
laissons cela ! Je ne suis pas ici pour parler de moi, mais de vous.
Avez-vous bien compris ce que je vous ai dit ? Les Colonna ont besoin de
toutes leurs forces et Antonia a besoin de vous. Elle vous aime, je ne me
lasserai pas de vous le répéter.
Battista
releva sur Fiora un regard où brillait quelque chose qui rendit l’espoir à la
jeune femme, surtout quand il demanda :
– Est-ce
que... est-ce qu’elle chante toujours ?
– Les
seules louanges de Dieu. Sa voix est le ravissement de San Sisto, mais je
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