Fiora et le roi de France
crois pas que vous irez
jusqu’en Bourgogne, donna Fiora.
– Pourquoi
donc ?
– Je
vous le dirai tout à l’heure. Pour l’instant, voulez-vous que nous allions, une
dernière fois, prier au tombeau de Monseigneur Charles ?
Elle
accepta d’un sourire et tous deux, suivis de Florent, se dirigèrent vers la
chapelle. Les cierges étaient rallumés, la lampe brillait d’un éclat nouveau et
un autre futur moine se tenait à la place exacte où Fiora avait, la veille, vu
Battista. Mais celui-là semblait beaucoup plus grand et les épaules qui
tendaient le grossier tissu blanc étaient larges et vigoureuses. De courts
cheveux bruns casquaient une tête dont le port arrogant fit, sans qu’elle
comprît pourquoi, battre plus vite le cœur de Fiora. Ensuite, tout se
précipita.
Quittant
son bras, Battista s’approcha de son ancien compagnon, ne dit rien, mais toucha
son épaule. Alors, lentement, il se retourna et la main tremblante de Fiora
chercha à tâtons l’appui d’un pilier. Ce moine, c’était Philippe-Droit devant
elle dans cette robe qui l’allongeait encore et soulignait le dessin hardi de
son visage dont le hâle était trop profond pour que l’ombre du monastère
réussît à l’éclaircir, il la regardait, mais dans les yeux couleur de noisette
que les flammes des cierges doraient, Fiora ne trouva aucune trace de la
passion d’autrefois. Et quand, oubliant le lieu où elle était, emportée par son
amour, elle voulut s’élancer vers lui, il étendit un bras pour la maintenir à
distance :
– Non,
Fiora. Tu ne dois pas m’approcher.
Elle
resta là comme frappée par la foudre, ave^ l’impression que son cœur se brisait
et que sa vie s’écroulait.
– Mais
pourquoi ? ... pourquoi ? fit-elle d’une voix déjà lourde de larmes.
Il
haussa les épaules et remit calmement ses mains au fond de ses larges manches :
– C’est
l’évidence, me semble-t-il. Ce lieu ni ce vêtement ne permettent les effusions.
– Tu
n’as pas toujours dit cela. As-tu oublié l’église Santa Trinita ? Tu te
souciais peu de la sainteté du lieu, le matin où tu m’as appris ce que c’était
qu’un baiser.
– Non,
je n’ai pas oublié, mais je ne portais pas cette robe et l’église n’était que
sainte : cette chapelle est sacrée par la présence de celui qui y
repose...
– Faudra-t-il
jusqu’à la fin des temps, murmura Fiora avec amertume, que le Téméraire se
dresse entre nous ? Il est mort, Philippe, et ce culte dérisoire que tu t’obstines
à lui rendre ne le fera pas revivre.
– Il
est pour moi plus vivant que vous tous. Auprès de lui seul je respire librement !
– Quelle
folie ! Battista, lui, a compris qu’il se devait à d’autres...
Se
détournant, elle chercha le jeune homme pour en appeler à son témoignage, mais
lui et Florent s’étaient éloignés, comprenant que leur présence était
inopportune.
– Battista
sait, à présent, que l’on a besoin de lui...
– Et
moi, je n’ai pas besoin de toi ?
– Non.
– Et
ton fils ? Car tu as un fils, Philippe. Crois-tu qu’il n’a pas besoin de
son père ?
Pour
la première fois, un éclair brilla dans les yeux froids de Selongey et la voix
dure se radoucit :
– Dans
ma prison à Dijon, à la veille de ce qui devait être mon exécution, j’ai su que
tu attendais un enfant, mais j’ignorais que ce fût un garçon. J’en suis
heureux... mais là où il est, il n’a pas non plus besoin de moi. Tu n’aurais pas
dû m’en parler, je n’éprouve aucune joie à être le père d’un futur marchand
florentin.
– Un
futur marchand florentin ? Mais où crois-tu donc qu’il se trouve ?
– A
Florence, bien sûr. Là où tu l’as emmené l’an passé.
– Moi,
j’ai emmené mon petit Philippe en Toscane ? Sur cette tombe que tu semblés
vénérer, je jure que notre enfant est à cette heure au manoir de la Rabaudière,
près de Tours où ma vieille Léonarde, mon ancienne esclave Khatoun et un couple
de braves gens dévoués veillent sur lui.
L’ironique
sourire d’autrefois étira vers la droite la bouche dédaigneuse de Philippe :
– A
Tours ! C’est à peine moins affligeant ! Tu te trompes, Fiora quand
tu dis que Monseigneur Charles se dresse encore entre nous. Celui qui s’interpose,
c’est le roi de France. Tu sais que je n’accepterai jamais de le servir, et tu
élèves mon fils à sa cour.
– J’élève
ton fils chez moi, dans la maison qui
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