Fiora et le roi de France
finalement subi le charme au point d’avoir
accepté son amitié et pleuré sa mort d’un cœur vidé de toute rancune. Elle le
reverrait toujours tel qu’il lui était apparu pour la dernière fois, au matin du
dernier combat : un chevalier d’or dont le heaume portait un lion dressé,
et qui s’enfonçait lentement dans la brume glacée de l’hiver, levant le bras
dans un geste d’adieu. Le brouillard dense ne s’était déchiré pour lui qu’au
moment d’entrer dans les ténèbres de la mort...
Souvent,
elle s’était demandé quel aurait été l’avenir si le duc Charles avait survécu.
Aurait-il réussi à trouver les moyens de poursuivre ses guerres incessantes
avec une
Bourgogne
exsangue et des Flandres exaspérées ? Certainement pas, mais avec ses
ultimes ressources, il aurait continué à se battre, à poursuivre ses rêves d’hégémonie
jusqu’à ce que la mort le prenne et ses derniers fidèles avec lui. Au fond,
tout était bien ainsi et la grandeur tragique de son trépas devait le satisfaire.
Mais il n’était pas juste qu’un enfant restât prisonnier de ce drame et de l’auréole
fascinante que confèrent les légendes.
Fiora
décida que Battista n’en avait pas fini avec elle. Quittant l’église, elle
rejoignit la place de la Halle et, arrêtant un passant, lui demanda le chemin
du prieuré Notre-Dame. L’homme se contenta de lui indiquer une rue au fond de
laquelle, en effet, apparaissait une chapelle dont le clocher avait été réduit
de moitié par un boulet de canon.
L’entrée
du couvent se trouvait au chevet de l’église et Fiora alla tirer une cloche qui
pendait près d’une vieille porte rébarbative, bardée et cloutée de fer comme
une entrée de prison, que perçait un guichet grillagé. A la figure replète qui
s’y encadra, la jeune femme exposa qu’elle implorait au père prieur de cette
sainte maison la faveur d’une courte entrevue. Le guichet se referma et elle
dut attendre de longues minutes avant que la porte ne s’entrouvrît pour lui
livrer un mince passage. De l’autre côté, le frère portier, aussi ample de
corps que rond de visage, lui fit signe de le suivre et sans un mot la
conduisit dans une petite salle basse et humide dépourvue du moindre meuble.
Seul, un grand crucifix de bois noir indiquait que l’on ne se trouvait pas dans
une cave. Toute la maison sentait le salpêtre et la moisissure, mais cette
pièce à laquelle on accédait en descendant quelques marches avait un aspect
misérable qui serra le cœur de la jeune femme. Le charmant Battista prisonnier
de ce tombeau, depuis plus de deux ans, cela lui parut un invraisemblable
non-sens ! Fallait-il qu’il eût aimé le Téméraire, pour se condamner à
cette lente destruction !
Au
grand moine noir et blanc brusquement apparu sans qu’elle l’eût entendu venir,
elle exposa sa requête : elle souhaitait s’entretenir un instant avec le
jeune novice qui, dans le siècle, s’était appelé Battista Colonna :
– Je
viens de Rome, assura-t-elle avec aplomb, et j’ai pour lui un message de sa
famille.
Le
mensonge lui était venu aux lèvres naturellement, pour la simple raison qu’elle
était prête à employer toutes les armes afin d’enlever cet enfant à un univers
sans espoir et pour lequel il ne pouvait avoir été créé. D’ailleurs, était-ce
un mensonge ? Antonia qui l’envoyait était réellement la cousine de
Battista et, par l’amour qu’elle lui portait, elle lui était plus proche
encore...
– Ne
pouvez-vous me confier ce message ? fit le prieur en dévisageant la
visiteuse avec une insistance que celle-ci jugea déplaisante.
– Il
ne s’agit pas d’une lettre, mais d’un message verbal qui ne saurait prendre sa
véritable signification en passant par votre voix, Votre Révérence. Veuillez me
pardonner cette franchise.
Mais
le religieux n’entendait pas se rendre si aisément.
– Une
famille, cela peut être vaste. Je suppose qu’en l’occurrence, il s’agit d’un
seul de ses membres. Me direz-vous au moins qui ? Comprenez, ma fille, que
je suis comptable de l’âme de ce jeune garçon et que je ne souhaite pas voir
troublée une paix qu’il a eu quelque peine à gagner, se hâta-t-il d’ajouter en
voyant se froncer les sourcils de la jeune femme.
– Craignez-vous
que cette paix ne soit fragile ? Si elle est réelle, profonde, aucun signe
venu du monde des vivants ne saurait l’entamer. Je peux vous dire ceci :
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