Fiora et le roi de France
personne,
chez les Colonna – et je vous accorde que la famille est vaste -, personne,
dis-je, n’a compris pourquoi un enfant de quinze ans choisissait de rester ici,
loin de tous les siens...
– Nous
savons cela depuis longtemps, Madame. Le prince Colonna est venu ici en
personne et Battista a refusé de le voir... Mais je suppose que vous le savez ?
– Ce
n’est pas lui qui m’envoie.
– Alors
qui ?
– Avec
votre permission, Votre Révérence, je le dirai à Battista lui-même, dit Fiora
qui commençait à perdre patience. Je veux lui parler, et il ne lui servira à
rien de se cacher derrière ces murs ou de s’enfuir comme il l’a fait tout à l’heure.
Ou alors, c’est qu’il n’est vraiment plus celui que j’ai connu et qu’il a perdu
tout courage, même et surtout celui qui consiste à regarder la vérité en face !
L’imposante
silhouette du prieur parut se dédoubler pour laisser voir une ombre blanche :
Battista lui-même, qui avait dû entrer sans qu’elle s’en aperçoive et sans
faire plus de bruit que son supérieur.
– Il
est vrai que je ne suis plus le même, donna Fiora, mais je n’accepterai jamais
que l’on m’accuse de manquer de courage...
En
dépit de la pesante tristesse qui régnait dans cette salle basse, Fiora retint
un sourire. S’il avait gardé la saine habitude d’écouter aux portes, le jeune
Colonna avait beaucoup moins changé qu’il ne l’imaginait et peut-être
restait-il de l’espoir.
– Pourquoi
m’avez-vous fuie, tout à l’heure, dans l’église ? Nous étions amis,
naguère...
– Vous
devriez dire jadis. Il me semble qu’il y a très longtemps...
– Deux
ans, Battista. Cela ne compte guère dans une vie humaine.
Elle
se tut, fixant le prieur avec une insistance qui fit monter deux taches rouges
à ses joues creuses. Comprenant qu’elle ne dirait rien de plus en sa présence,
il se décida enfin à se retirer :
– Vous
me trouverez à la chapelle, mon fils, murmura-t-il. Je vais y prier afin que le
Seigneur éloigne de vous les pièges du monde.
– Je
vous en remercie, mon père, mais j’espère avoir en moi assez de forces, avec l’aide
de Dieu, pour les combattre seul !
– Voilà
qui est aimable ! remarqua Fiora acerbe. Je ne me souviens pas vous avoir
jamais tendu le moindre piège ?
– Je
sais, donna Fiora, et je vous demande pardon si je vous ai blessée... mais vous
ne m’avez jamais habitué non plus à vous entendre mentir.
– Mentir,
moi ? Quand vous ai-je menti ?
– Mais...
à l’instant et par personne interposée. N’avez-vous pas dit que vous veniez de
Rome ? Vous, à Rome ? Et pour quoi faire ?
– Vous
allez devoir vous excuser encore, Battista ! Je n’en viens pas
directement, je l’avoue, mais j’y ai tout de même effectué un séjour, tout à
fait involontaire d’ailleurs, de plusieurs mois. Sinon, où aurais-je pu
rencontrer votre cousine Antonia ?
Une
soudaine bouffée de sang rendit un instant au jeune novice sa bonne mine de
jadis et ses yeux noirs se mirent à briller, mais ce ne fut qu’un instant...
– Antonia !
soupira-t-il. Se soucie-t-elle donc de moi ?
– Bien
plus que vous ne le supposez.
– Voilà
une affirmation elle aussi difficile à croire. J’ai appris que l’on allait la
marier.
– Vos
nouvelles ne sont plus de saison. Antonia porte à présent le nom de sœur
Sérafina au couvent de San Sisto où nous nous sommes liées d’amitié.
– Religieuse ?
Antonia ? Mais c’est invraisemblable !
– Presque
autant que de vous voir, vous, sous cette bure monastique. J’ajoute que, si
elle est entrée au couvent, ce n’est pas de son plein gré. Le pape voulait la
contraindre à épouser l’un de ses neveux, Léonardo, le moins réussi de la
bande. Elle a préféré se faire nonne. Encore son père a-t-il dû, pour apaiser
la colère papale, abandonner la majeure partie de sa dot. J’ajoute qu’elle n’a
pas à ce jour pris le voile... et qu’il dépend de vous qu’elle ne le prenne
jamais. C’est à sa demande que je suis venue.
S’éloignant
de Fiora, Battista alla s’adosser au mur que barrait le grand crucifix, comme
pour se mettre sous sa protection. Il était devenu plus pâle encore et la jeune
femme se sentit envahie d’une pitié infinie.
– Vous
lui écriviez, jadis ? fit-elle doucement. Pourquoi avez-vous cessé ?
– Je
n’ai plus écrit quand j’ai su qu’elle allait se marier. Je
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