Fiora et le roi de France
retomba sur lui aussi lourdement qu’une
pierre tombale.
Seule,
désormais, Fiora se laissa tomber à terre, à genoux d’abord puis de tout son
long, image désespérée de son cœur crucifié, comme si elle voulait s’intégrer à
cette pierre froide, à ce tombeau sur lequel venait de se briser sa vie.
C’est
là que, peu après, Florent et Battista la trouvèrent...
CHAPITRE XI LA MAISON VIDE
Fiora
n’aurait jamais cru qu’il était possible de tant souffrir. Inerte sur son lit,
tandis que ses larmes ne cessaient de couler trempant ses cheveux et l’oreiller,
incapable de dormir ou de se nourrir, elle laissait une pensée unique enfiévrer
sa tête et la détruire lentement : Philippe la rejetait loin de lui, et
pour toujours. Il lui préférait un couvent misérable et le tombeau auprès
duquel il prétendait vivre le reste de ses jours. Le trop doux péché commis
avec Lorenzo imposait à la coupable une impitoyable pénitence en éloignant à
jamais le seul homme qu’elle eût aimé.
N’imaginant
pas un instant, du fond de son humiliation, que Philippe luttait peut-être à
présent contre tous les démons d’une jalousie furieuse, elle restait là sans
rien vouloir entendre des consolations de ses amis, refusant de quitter cette
chambre et surtout cette ville où, au moins, elle le savait présent, à deux pas
de la maison où elle vivait une agonie.
Depuis
qu’ils l’avaient ramassée dans l’église à peu près inconsciente, Battista et
Florent ne savaient que faire, et pas davantage Nicole Marqueiz qu’en peu de
mots ils avaient mise au courant. A peine Fiora réfugiée dans sa chambre, le
jeune Colonna s’était précipité au couvent pour dire à Selongey ce qui se
passait et tenter de le fléchir, mais il s’était heurté à un véritable mur.
– Cette
femme est morte pour moi, jeta Philippe avec une violence qui surprit le jeune
homme. Elle a mis l’irréparable entre nous. J’ai pardonné une fois, je ne
pardonnerai pas une seconde.
– Elle
vous croyait mort et, si j’ai bien compris, elle venait de subir de dures
épreuves...
– Elle
me savait bien vivant quand elle s’est donnée à Campobasso. Qu’elle m’ait cru
défunt n’est pas une excuse. Si j’acceptais de vivre avec elle, pendant combien
de temps me serait-elle fidèle ? Sa beauté attire les hommes et elle se
laisse attirer par leur amour.
– Elle
n’aime que vous.
– Peut-être
parce qu’elle ne m’a jamais vraiment tenu à sa merci. Qu’en serait-il lorsque
viendrait la monotonie de la vie quotidienne ? A qui permettrait-elle de
la distraire ? Quel homme devrais-je alors tuer... à moins que je ne la
tue elle-même ? Non, Colonna, je refuse de subir cela ! Je ne veux
pas devenir fou...
– Ne
le deviendrez-vous pas ici ? Vous n’êtes pas fait pour la vie
monastique... pas plus que moi, d’ailleurs, et je sais à présent que je m’étais
trompé.
– Vous
aviez choisi le seul refuge digne d’un chevalier, mais vous avez d’autres
raisons de vivre à présent. Moi, je vais continuer à monter ma garde silencieuse
auprès du seul maître que j’aie jamais accepté. Si je ne trouve pas la paix, je
repartirai et j’irai, comme j’en ai eu un moment l’intention, chercher la mort
en combattant les Turcs.
– Et...
votre fils ? Vous résignez-vous à ne jamais le connaître ?
Le
regard de Philippe étincela soudain, puis s’éteignit sous l’abri de sa paupière :
– J’en
crève d’envie ! gronda-il. Mais si je le voyais, si je le touchais, je n’aurais
plus le courage de m’éloigner. C’est de sa mère alors qu’il me faudrait le
priver. Je préfère de pas prendre ce risque... Allez-vous-en, Colonna ! Allez
vers votre destin, laissez-moi à ma solitude...
– Ne
m’accorderez-vous pas de lui apporter une seule bonne parole ? murmura
Battista navré. Elle est brisée, anéantie, et il se peut qu’elle ne se relève
pas.
– Dites-lui...
que je lui confie mon fils et que je compte sur elle pour en faire un homme
digne de ses aïeux. Je la sais de cœur noble et vaillant. Ce n’est pas vraiment
de sa faute si son corps est faible. Dites-lui enfin que je prierai pour
elle... pour eux !
Ce fut
tout. L’instant d’après, Philippe de Selongey franchissait la porte qui menait
au cloître et disparaissait. Battista, découragé, revint auprès de Fiora, mais
il n’eut pas le courage de lui délivrer le message austère et
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