Fiora et le roi de France
château des princes de Vaudémont, ils échangèrent des adieux qu’ils
espéraient bien ne pas être éternels...
– Il
y a si longtemps que j’en suis déshabitué, fit le jeune homme. Il se peut que
je ne les supporte pas.
– Alors,
n’oubliez pas que vous avez en France des amis et si, quand vous aurez épousé
Antonia, vous souhaitez retrouver un climat plus frais... ou échapper aux
sbires du pape, n’hésitez pas à venir les rejoindre.
– Soyez
sûre que je ne l’oublierai pas. Laissez-moi vous embrasser pour Antonia et pour
moi ! Dieu vous bénisse, donna Fiora, et vous accorde enfin le bonheur que
vous méritez !
– Il
faudrait qu’il se donne beaucoup de mal. Je crois que je ne suis pas faite pour
cela, voyez-vous ? Mais j’essaierai de m’en arranger...
Debout
à la croisée des chemins et tenant son cheval par la bride, elle regarda le
jeune homme partir au galop le long de la Marne dont l’eau claire reflétait les
nuages changeants d’un ciel pommelé. Elle songeait que les voies du Seigneur
étaient vraiment impénétrables, puisqu’elles lui avaient permis de rendre le
goût de la vie à Battista alors qu’il brisait la sienne irrémédiablement.
– Eh
bien ? dit Florent qui s’était tenu à l’écart par discrétion. Que
faisons-nous à présent ?
– Mais...
nous rentrons chez nous, Florent.
– J’entends
bien, mais après ?
– Après ?
Je ne sais pas. Je ne sais vraiment pas... II faut que je réfléchisse et
surtout que je me repose. Jamais je ne me suis sentie aussi lasse...
– C’est
naturel. Aussi allons-nous rentrer doucement à petites étapes, puisque plus
rien ne nous presse...
Fiora
était sincère en disant qu’elle ignorait comment elle allait désormais conduire
sa vie. Sa douleur se mêlait à présent de colère contre celui qui l’abandonnait
ainsi à ses seules responsabilités avec une unique consigne : faire de son
fils un homme digne de ses ancêtres, ce qui, dans son esprit, devait exclure le
bon Francesco Beltrami qui n’avait jamais porté aucun titre de noblesse. Mais,
en y réfléchissant bien, Fiora ignorait ce qu’avaient été les Selongey passés
et, si elle aimait passionnément l’unique spécimen qu’elle eût rencontré, elle
reconnaissait que ce n’était pas un modèle de charité chrétienne, ni même de
simple humanité, en dehors des devoirs de chevalier qu’il respectait à la lettre.
Quant à ses ancêtres à elle, les vrais, les Brévailles, l’échantillon qu’elle
en avait eu avec le vieux Pierre 1 n’était pas plus encourageant.
En
outre, il n’entrait certainement pas dans les plans de Philippe que son fils
servît le roi de France. Alors que faire ? Que décider ? Que choisir ?
Au
long du chemin qui la ramenait chez elle à travers l’éclat chaleureux du
printemps, Fiora petit à petit se mit à esquisser un projet d’avenir. Peu
importait ce que Philippe pensait de son beau-père florentin, peu importait le
mépris à peine déguisé qu’il portait à une noblesse considérant le négoce comme
l’un des beaux-arts ! La Florentine se réveillait en elle et elle pensa qu’il
serait agréable, si Lorenzo de Médicis gagnait sa guerre contre le pape, de retourner
là-bas avec « ses » enfants, Léonarde et ceux qui voudraient bien l’y
suivre. L’idée de pouvoir reprendre sa petite Lorenza la remplissait de joie.
Une voix secrète lui soufflait bien que l’enlever à présent aux bons Nardi
serait d’une affreuse cruauté, mais elle la faisait taire en arguant qu’après
tout Agnolo pouvait souhaiter finir ses jours dans sa ville natale et que, très
certainement, Agnelle s’y plairait. Il faudrait étudier le problème. De toute
façon, la guerre dont elle ne savait rien était peut-être loin d’être finie.
Ainsi
méditait Fiora tandis que les routes glissaient sous les sabots de son cheval,
mais, à mesure qu’elle approchait des pays de Loire, une hâte extrême lui
venait de revoir son petit manoir dont le jardin allait être tout fleuri, tout
embaumé, de se blottir douillettement dans ce paradis personnel et, surtout, de
n’en plus bouger avant de longs, de très longs mois...
Aussi
quand, franchie la porte orientale de Tours, elle quitta le « Pavé »
qui menait au château royal du Plessis-Lès-Tours pour s’engager dans le chemin
de sa maison, Fiora, comme si elle menait une charge, poussa-t-elle un grand
cri de joie qui fit envoler les
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