Fiora et le roi de France
désolant dont il
était chargé. Le lendemain, à son tour, Florent, emporté par une colère
furieuse, courut au prieuré, décidé à faire entendre à l’obstiné ce qu’il
appelait la voix de la raison et ce qu’il pensait de lui. Mais il ne fut pas
reçu et dut repartir comme il était venu. Georges Marqueiz, qui tenta l’expérience
par amitié pour Fiora, n’eut pas plus de chance. Philippe semblait avoir décidé
de se murer dans le silence.
Au
matin du quatrième jour de la réclusion de Fiora, dame Nicole, Battista et Florent
décidèrent d’un commun accord qu’il fallait intervenir. De toute évidence, la
jeune femme était résolue à se laisser mourir de faim.
– Je
refuse, déclara l’épouse de l’échevin, de la regarder périr dans ma maison.
Venez avec moi, tous les deux, et ne vous fâchez pas si mon langage vous paraît
un peu rude.
Armée
d’un plateau garni de mets légers et d’un flacon de vin, elle s’engagea, suivie
des deux garçons, dans l’escalier qui menait chez la désespérée.
En
dépit du feu allumé dans la cheminée pour lutter contre l’humidité due à la
période de pluies qui trempait ce mois de mai, la chambre était obscure. Dame
Nicole fit signe à Florent d’aller ouvrir les lourds rideaux. Le jour gris et
triste qui pénétra n’était guère encourageant, mais c’était tout de même le
jour. Il éclaira le lit dans lequel Fiora était étendue, aussi inerte que si
elle était déjà morte. Avec ses traits creusés par les larmes incessantes, elle
semblait plus vieille et les deux garçons sentirent leur cœur se serrer.
– Je
l’étranglerais volontiers, moi, ce bourreau ! grogna Florent. Quand je
pense que depuis quatre jours elle consent seulement à boire un peu d’eau !
C’est à se jeter la tête contre les murs !
– Cela
n’arrangerait rien. D’ailleurs, tuer messire Philippe non plus, remarqua Battista.
Elle n’en serait pas moins malheureuse.
Pendant
ce temps, Nicole posait son plateau sur le lit et entreprenait de redresser
Fiora en attrapant les oreillers à bras le corps.
– Vous
avez assez pleuré ! décréta-t-elle. A présent, vous allez manger, même si
je dois vous donner la becquée comme à un bébé.
La
voix qui se fit entendre parut surgir des profondeurs du lit. Elle était
faible, mais cependant obstinée :
– Laissez-moi,
Nicole ! ... Je ne veux pas manger ! Je... je ne mangerai plus
jamais.
– Vraiment ?
Alors écoutez bien ce que je vais vous dire ! Vous voulez mourir, n’est-ce
pas ? Seulement, moi, je refuse d’avoir un jour prochain votre cadavre sur
les bras. Allez trépasser où vous voulez, mais pas chez moi !
En
dépit de sa faiblesse, Fiora ouvrit de grands yeux surpris et douloureux :
– Que
voulez-vous dire ?
– C’est
clair, me semble-t-il ? J’ai reçu, voici quelques jours, une amie que j’étais
heureuse d’accueillir. Or, cette amie manifeste à présent la volonté de se
laisser périr sous mon toit, et je ne peux l’accepter. Si je suis fière, avec
quelque raison, de mon hospitalité, elle ne va pas jusqu’à permettre que l’on
décide de se suicider chez moi. Il y a cent manières de mourir ici-bas, mais la
maison de Georges Marqueiz ne peut convenir à ce projet. Alors, si vous tenez
tellement à vous sacrifier à un homme obtus, allez exécuter cette décision
ailleurs !
– vous
voulez que je parte ? Oh, Nicole ! ...
– Ecoutez,
Fiora, le choix est simple : ou bien vous acceptez de vous nourrir, et je
vous accorde le temps nécessaire à la reprise de vos forces, ou bien nous vous
faisons manger de force, ces garçons et moi, afin que vous soyez capable de
supporter quelques lieues de chemin.
– Comment
pouvez-vous être aussi cruelle ?
– Cruelle,
moi ? Mais regardez-vous !
Vivement,
dame Nicole alla chercher un miroir à main qu’elle mit sous le nez de la jeune
femme :
– Voyez
quelle mine vous avez après quatre jours à l’eau de douleur ! Quel homme
mérite cette destruction volontaire ? De la plus jolie femme que je
connaisse vous êtes en train de faire une loque. Et si vous pensiez un peu à
votre fils ? Il n’a déjà plus de père et vous voulez à présent lui enlever
sa mère ?
– Un
père lui serait bien plus utile que moi !
– Libre
à vous de penser cela ! Pour ma part, j’estime que vous avez assez pleuré
messire de Selongey. S’il se plaît à se draper dans sa dignité et à continuer
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