Fiora et le Téméraire
étranglée.
Comprenant
qu’il était en train de la tuer, Campobasso la lâcha mais ce fut pour l’expédier
à terre d’une bourrade :
– Tu
feras ce que j’ai dit ! Lève-toi et habille-toi... si tu ne veux pas que
je te fasse habiller par mes hommes...
Elle
se releva en effet mais ce fut pour lui éclater de rire au nez :
– Voilà
qui serait amusant ! Bonne idée ! Appelle donc tes hommes ! Quelques
archers en guise de chambrières, cela peut être drôle...
L’absurde
défi le calma net mais réveilla son ardeur. D’un geste brutal il la saisit dans
ses bras, la poussa contre l’une des colonnes du lit et la prit debout avec
tant de violence qu’elle cria de douleur.
– Ne
me pousse pas à bout, Fiora ! Jamais je n’accepterai de te perdre, tu
entends ? Je veux pouvoir te posséder encore et encore chaque fois que j’en
aurai envie et pour cela il faut que je te cache, que je t’éloigne du danger.
Si le duc ordonnait ta mort, je serais capable de le tuer... Je t’aime,
comprends-tu ? Je t’aime, je t’aime, je t’aime ! ...
– Que
vas-tu faire ? demanda-t-elle un moment plus tard tandis qu’avec des
gestes redevenus caressants il l’aidait à s’habiller.
– Dès
que tu auras quitté Thionville, je partirai pour Soleuvre et je verrai le duc
sans attendre qu’il m’appelle. Je lui dirai à quel point je tiens à toi et
aussi que je veux faire de toi ma femme. Il n’osera plus, dès lors, s’en prendre
à toi. Il a trop besoin des troupes que je commande. Alors, je t’enverrai
chercher et nous nous marierons...
– Pourquoi
ne pas le quitter au lieu de braver sa colère ? Pars avec moi !
Il
hésita, visiblement tenté car la pensée de voir s’éloigner de lui, même pour
peu de temps, cette femme adorable le déchirait mais il fallait bien, enfin,
que la raison reprît ses droits...
– Je
ne peux pas, avoua-t-il. J’ai à payer mes hommes et le duc me doit de l’or...
– Un
autre t’en donnerait peut-être davantage ? ...
– Je
sais... et il se peut que j’y vienne un jour. Mais pour l’instant, j’entends
recevoir mon dû. Le Téméraire a envoyé en Lombardie le Grand Bâtard Antoine,
son demi-frère et son meilleur capitaine, pour ramener des mercenaires. J’entends
que les miens soient payés avant ces nouveaux venus...
Fiora
n’insista pas. Une idée lui venait : elle allait se laisser conduire où il
l’avait décidé. De là elle trouverait sûrement un moyen de s’enfuir et, s’il
tenait à elle autant qu’il le disait, Campobasso abandonnerait tout pour la
rejoindre...
Une
heure plus tard, étendue sur les coussins d’une litière un peu antique mais
solide et dont les rideaux de cuir fermaient hermétiquement, Fiora quittait
Thionville dont elle n’avait pratiquement rien vu et traversait le camp planté
au bord de la Moselle pour tous les soldats qui n’avaient pas trouvé place dans
la ville. Salvestro, indifférent à son ordinaire, chevauchait auprès d’elle
cependant qu’une escorte de dix hommes partagée en deux groupes précédait et
suivait l’attelage. Par précaution, les hommes d’armes portaient, au lieu du
tabard vert à croix de Saint-André blanche qui était de Bourgogne, la cotte d’armes
à la double croix de Lorraine... On prit la direction du sud à vive allure. Il
fallait couvrir dans la journée la petite vingtaine de lieues qui séparaient la
ville luxembourgeoise du château lorrain de Campobasso. Quitte à arriver au
cœur de la nuit, le condottiere préférant de beaucoup que cette arrivée se fît
dans l’obscurité.
Bâti
au siècle précédent par Pierre de Bar, le château de Pierrefort, baptisé selon
son géniteur, dressait ses murailles sur un éperon dominant un vallon encaissé
qui formait une voie naturelle entre le Barrois et la Moselle. C’était un
pentagone d’environ vingt mille mètres carrés défendu par quatre tours
représentant chacune un échantillon de l’architecture militaire de l’époque :
une tour carrée, une tour ronde, une tour à bec et enfin une grosse tour
octogone : le donjon. C’était cette tour que la colère du duc René II
avait à demi détruite mais le château n’avait que peu souffert de l’incendie [xi] . Donnant, au nord
et à l’est, sur un ravin abrupt, il était bordé, au sud et à l’ouest, par de
larges et profonds fossés qu’enjambait un pont dormant sur lequel venait s’abattre
le grand pont-levis. Une première
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