Fiora et le Téméraire
pas. René II a rejoint le roi. Mais entrons !
En
pénétrant dans le logis, Fiora découvrit que l’on pouvait être homme de guerre
et homme de goût. Des tapis et de grandes tentures brodées habillaient la salle
où ne manquaient ni les meubles, ni les coussins, ni les beaux objets. Elle en
fit compliment à son jeune hôte ajoutant que Thionville, cependant ancien
château ducal, n’offrait rien de comparable.
– Mon
père ne fait qu’y passer. Il s’en accommode simplement. Ici, c’est chez lui,
comme d’ailleurs à Ainvelle-aux-Jars, non loin de Neufchâteau où il ne va
guère, se contentant d’y maintenir mon frère et un bailli chargé de récupérer les
impôts mais où le château mériterait qu’on fît quelques aménagements. Vous vous
en chargerez sans doute puisque vous allez devenir son épouse ? Ce dont je
me réjouis sincèrement...
Fiora
fit honneur au souper de poissons et de venaison qu’on lui servit et se déclara
ensuite satisfaite de la chambre que l’on venait de préparer pour elle, une
pièce agréable avec ses rideaux à grands ramages et la tapisserie mille fleurs
qui enjolivait le panneau faisant face aux fenêtres... Celles-ci,
malheureusement, donnaient sur la seule cour comme les autres fenêtres du
logis.
La
jeune femme s’y enferma à clé, craignant que ce jeune homme, qui la contemplait
avec un plaisir évident, ne voulut vérifier par lui-même les charmes dont son
père se voulait captif. Mais personne ne vint frapper et elle s’en trouva
grandement soulagée.
Livrée
à elle-même pour la première fois depuis des jours – et surtout des nuits !
-, Fiora employa une grande partie de celle-ci à réfléchir. Ayant dormi toute
la journée, elle n’avait plus sommeil et se retrouvait l’esprit clair pour
faire face à une situation tout à fait inattendue. En arrivant à Thionville,
elle espérait plaire à Campobasso, sans doute, mais de façon paisible, se l’attacher
peu à peu et l’amener doucement là où Louis XI voulait le voir venir : abandonner
la cause du Téméraire et rentrer en France avec elle, en emmenant, bien sûr,
ceux de ses soldats qui lui étaient attachés. Le tout avec l’appât d’une
honnête quantité d’or...
Cela
aurait pu, aurait dû marcher si deux facteurs nouveaux ne s’étaient présentés :
d’abord la présence de Galeotto, de ses hommes d’armes et d’une partie de l’armée
bourguignonne dans la cité luxembourgeoise : ils auraient empêché
Campobasso de partir par tous les moyens. Ensuite la passion insensée qu’elle
avait allumée dans le cœur et dans les sens du condottiere. Violente,
exclusive, voire dangereuse, elle avait joué dans le sens contraire de ce qu’espérait
Fiora : au lieu de la suivre, Campobasso n’avait plus pensé qu’à une chose :
garder pour lui seul celle qu’il aimait, la cacher le temps qu’il le faudrait
puis l’épouser au grand jour : tout cela sans quitter pour autant le clan
bourguignon. D’ailleurs, si la paix avec la France était faite, sa trahison ne
serait que de peu de prix et le priverait des grands avantages offerts sans
doute par un prince lancé à la conquête d’un royaume. Et maintenant, Fiora se
retrouvait au cœur d’un pays inconnu, enfermée dans un château fort sans aucune
possibilité d’assistance pour en réchapper. Privée de l’astuce d’Esteban et de
la force prodigieuse de Mortimer ainsi que de leur courage à tous les deux,
elle était presque désarmée car elle se voyait mal tentant sur le vieux
Salvestro une entreprise de séduction dans l’espoir de se faire ouvrir la
porte.
Où se
trouvaient-ils, à cette heure, le Castillan et l’Ecossais ? Campobasso les
avait fait reconduire, d’après ce qu’il en avait dit, à une lieue de
Thionville. On ne leur avait restitué leurs armes qu’à ce moment-là et ceux qui
les accompagnaient avaient pu les voir s’éloigner en direction de la France. Y
étaient-ils déjà arrivés et les choses s’étaient-elles passées comme on le lui
avait raconté ? Leur avait-on « vraiment » rendu leurs armes ou
bien les avait-on égorgés sans plus de façon ? Fiora connaissait assez son
amant, à présent, pour savoir que tout était à redouter de son génie
tortueux...
S’il n’en
était rien – et elle l’espérait de tout son cœur -Douglas Mortimer devait être
en train de revenir à bride abattue vers son roi pour lui rendre compte de sa
mission. Mais Esteban ?
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