Fiora et le Téméraire
Etait-il parti avec lui dans l’espoir de ramener
un quelconque secours ? Fiora en doutait un peu. Le Castillan lui était
attaché. En outre, pour rien au monde, il n’eût transgressé un ordre de
Démétrios et celui qu’il en avait reçu était formel : veiller sur Fiora en
tout temps et en toutes occasions. Peut-être n’était-il pas si loin qu’on le
pensait ? ... En tout cas, une chose était certaine : il fallait
parvenir à sortir d’ici, coûte que coûte. Peut-être alors, apprenant qu’elle
lui avait échappé, Campobasso se lancerait-il à sa recherche, privant ainsi le
Téméraire d’un de ses meilleurs capitaines ? De toute façon, elle ne
voulait plus être le jouet de cet homme et revivre ces jours et ces nuits qu’elle
ne pouvait même plus évoquer sans honte : elle s’était conduite comme une
courtisane sans doute, s’y étant d’ailleurs préparée mais le pire est qu’elle y
avait pris plaisir. Elle avait découvert qu’elle pouvait aimer les jeux de l’amour
sans en éprouver le sentiment, tout comme un garçon, et qu’un parfait inconnu,
s’il était habile, saurait faire vibrer ses sens et lui faire oublier un
instant qu’elle était autre chose qu’une chair avide de jouissances.
Et ce
fut en pensant à sa prochaine évasion qu’elle finit par s’endormir, si
profondément même qu’elle n’entendit pas, au petit matin, le jeune Angelo
partir avec l’escorte qui l’avait amenée.
Quand
il eut quitté le château, Salvestro fit baisser la herse et relever le
pont-levis. Puis, jetant un rapide coup d’œil à la fenêtre derrière laquelle
dormait cette femme qui avait envoûté son maître, il esquissa un sourire,
haussa les épaules et s’en alla inspecter les quartiers et les armes des hommes
chargés de garder la forteresse. Fiora ne le savait pas encore mais elle était
prisonnière d’un vieux soldat qui ne l’aimait pas et qui ferait tout pour qu’elle
comprenne bien le rôle qu’on lui attribuait : celui d’un bel objet
entièrement voué au repos du guerrier et à ses plaisirs. Rien de plus !
Elle s’aperçut
très vite du sort qui lui était fait. Dès le matin, constatant que, pour une
fois il ne pleuvait pas et que le ciel était presque clair, elle demanda un
cheval pour faire un tour dans les environs. On lui répondit alors que c’était
impossible, les promenades à cheval ou à pied n’étant pas compatibles avec la
défense d’une place forte frontalière. Et on lui désigna l’escalier qui, près
de la porte d’entrée, montait d’un seul jet jusqu’au chemin de ronde. Mais
quand elle commença à en gravir les degrés, elle entendit sonner derrière elle
les pas ferrés des deux soldats chargés de l’accompagner. Et c’est escortée de
leur présence vigilante qu’elle parcourut le chemin de ronde du château à pas
lents, regardant à peine le paysage alentour qui cependant n’était pas sans
charme, envahie qu’elle était par une sensation désagréable.
Ce fut
pis encore quand, redescendant, elle s’aperçut que deux maçons étaient occupés
à sceller des barreaux à la fenêtre de sa chambre sous la surveillance
attentive de Salvestro. Emportée par une brusque colère, elle courut à lui :
– Qui
vous a permis de faire cela ? Ignorez-vous que votre maître souhaite que
je devienne son épouse.
– Soyez
sans crainte : personne ne vous manquera de respect dans ce château mais,
voyez-vous, je ne suis pas certain que vous ayez, vous, très envie de devenir
sa femme et, comme il tient à vous, je veux être assuré que vous serez prête à
le recevoir quand il le souhaitera.
– Quelle
sottise ! Ne suis-je pas venue à lui de bon gré ? -Sans doute... mais
dans quel but ? Parce que vous rêviez de lui depuis longtemps ? Je ne
crois pas cela : vous êtes toute jeune et lui sera bientôt vieux.
– Ne
savez-vous pas que je suis sa cousine ?
– C’est
possible... mais ce n’est pas certain. Quant à moi, j’ai reçu mission de vous
garder et je vous garderai, au besoin contre vous-même. Et croyez bien qu’il m’en
coûte ! Sans vous je serais à ses côtés pour la guerre qui se prépare.
– Quelle
guerre ? On est en train de signer la paix...
– Et
moi je vous dis que le duc va repartir en guerre. -A la mauvaise saison ? Comme
c’est vraisemblable !
– C’est
sans importance pour d’authentiques soldats. Voulez-vous rentrer à présent ?
– Je
me plaindrai du sort
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