Fiora et le Téméraire
ligne de défense, faite de palissades et d’échauguettes
de bois qui avaient brûlé en partie, précédait les fossés. C’était à la fois un
ouvrage d’art et une puissante forteresse où Campobasso gardait une garnison d’une
vingtaine d’hommes sous le commandement d’un de ses fils...
Mais
Fiora ne vit rien de ces abords, pas plus d’ailleurs que de la route suivie
car, sans souci des cahots de la litière sur le chemin raboteux, elle dormit
comme une souche tout au long du voyage et n’ouvrit les yeux qu’au
1. Pierrefort est encore debout en partie, mais il
renferme une exploitation agricole qui ne l’améliore pas.
bruit
apocalyptique du pont-levis qui s’abaissait et de la herse que l’on relevait.
La troupe passa sous l’arc brisé de la porte, pénétra dans une cour immense qu’éclairaient
mal quelques pots à feu et s’arrêta enfin devant l’entrée d’un beau logis dont
les fenêtres étaient élégamment sculptées et portaient sous le gable les armes
des anciens seigneurs de Bar.
Un
jeune homme qui ressemblait à Campobasso, vêtu de cuir sous une cotte de
mailles brillantes, se tenait debout sur le seuil.
– Salut
à toi, Salvestro, vieux brigand ! cria-t-il joyeusement. Tu as bien failli
recevoir quelques carreaux d’arbalète avec tes cottes lorraines. En voilà une
idée ?
– La
Bourgogne n’est pas en odeur de sainteté. C’était plus prudent...
– Et
quel bon vent t’amène ?
– Un
vent qui va te remporter, messire Angelo. Ton père te réclame et m’envoie tenir
Pierrefort à ta place.
– Dis-tu
vrai ? Je vais enfin quitter ce nid de hiboux et revoir la guerre ? Vive
Dieu ! Voilà des jours que j’attends ça !
Les
deux hommes s’embrassèrent, se bourrèrent de quelques coups de poing en riant
puis Angelo demanda :
– Qu’est-ce
qu’il y a dans cette litière ?
– Le
précieux trésor de ton père. Celle qui sera bientôt la dame de ces lieux :
ta future belle-mère, quoi !
Ouvrant
les rideaux de la litière, il offrit la main à Fiora pour l’aider à descendre.
Mal réveillée, la jeune femme clignait des yeux dans la lumière des torches que
tenaient deux valets.
-Sommes-nous
arrivés ? demanda-t-elle.
-Oui,
madonna. Voici messire Angelo qui est l’aîné des fils de Mgr Cola.
Mais,
déjà, le jeune homme s’inclinait, avec une grâce inattendue chez un homme vêtu
d’acier et s’emparait de la main de la jeune femme.
– Il
n’y a qu’un instant, je croyais être heureux de m’éloigner d’ici, belle dame.
Mais voilà que l’envie m’en passe puisque vous allez rester alors que je m’en
vais !
– Merci
de votre accueil, messire ! Je n’espérais pas rencontrer un galant homme
dans cette forteresse...
– Moi
non plus, fit Salvestro goguenard. Tu as fait des progrès dans l’art de parler
aux dames, gamin. Quant à la guerre, n’y compte pas trop ! Le duc Charles
qui est à Soleuvre a dépêché, paraît-il, messire Hugonet, son chancelier, à
Vervins pour y discuter de la paix avec les envoyés du roi de France.
Toute
gaieté s’effaça du visage du jeune homme :
– La
paix ? Le Téméraire veut la paix avec son plus mortel ennemi ? C’est
à n’y pas croire ! Le Français lui a repris la Picardie et ses troupes ont
attaqué le nord de la Franche-Comté depuis la fin de la trêve, en mai.
– Il
a d’autres chats à fouetter et préfère sans doute tenir Louis XI à distance
même au moyen d’une paix boiteuse. On dit qu’à l’appel du duc René de Lorraine,
les Suisses et les Alsaciens sont entrés aussi dans la Franche-Comté qu’ils
ravagent. Après tout, tu pourrais bien l’avoir quand même, ta guerre ! acheva-t-il
avec un sourire narquois.
-Tout
cela est fort intéressant, messieurs, dit Fiora avec un sourire qui corrigea
son rappel à l’ordre, mais j’aimerais assez entrer dans cette maison... et
souper si possible ?
– Pardonnez-nous,
fit Angelo, vous avez mille fois raison. Mais vous arrivez bien car j’ai chassé
tout le jour et j’allais me mettre à table.
– Vous
pouvez chasser alors que cette forteresse bourguignonne en pays lorrain doit
être en péril continuel ?
– Nous
ne sommes pas vraiment en Lorraine mais à la frontière du duché et de la
France. Comme cette frontière n’est pas très bien délimitée, je vis à peu près
tranquille mais vous le serez plus encore si nous sommes en paix avec Louis
XI... Et le duché ne bouge
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