Fiora et le Téméraire
Qu’avez-vous
décidé ?
– Je
vous le dirai demain. Vous m’avez appris des choses fort intéressantes dont je
dois discuter avec donna Fiora et nos compagnons... Ah ! pendant que j’y
pense : veillez à nous servir dans notre chambre et tous ensemble. Vous
redoutez par trop les curiosités. Et puis, nous serons plus tranquilles !
– Moi
aussi, approuva maître Huguet qui ne put cependant s’empêcher de ronchonner, en
homme qui se méfie d’instinct de l’exotisme, qu’un médecin grec cela ne faisait
pas très sérieux. Du coup Léonarde se fâcha :
– Le
roi de France s’apprête bien à le prendre au sérieux, lui ? Pourquoi pas
vous ? Mais si vous tenez tellement aux honneurs, vous pouvez toujours l’appeler
Monseigneur, parce que j’ai négligé de vous spécifier qu’il est aussi prince,
descendant d’un empereur de Byzance.
Et,
sur cette flèche du Parthe qui laissa son cousin sans voix, Léonarde,
abandonnant la cuisine d’où montait, avec des fumets délectables, le joyeux
tintamarre du coup de feu, s’en alla rejoindre Fiora mais ne la mit pas tout de
suite au fait de ce qu’elle venait d’apprendre, préférant s’accorder un temps
de réflexion. Elle savait en effet que, sur la liste de ceux dont la jeune
femme entendait purger la terre, Regnault du Hamel venait en première place.
Comment allait-elle réagir en apprenant que son ennemi se trouvait si près d’elle
quand elle pensait devoir le chercher à Autun ?
La
tentation de ne rien dire était grande pour la vieille demoiselle qui craignait
profondément de voir son « agneau » s’engager dans le chemin du
crime, mais, d’autre part, si elle la laissait faire le voyage d’Autun pour y
apprendre finalement que du Hamel se trouvait à Dijon, cela ne ferait que
retarder l’inéluctable. Elle connaissait trop bien la jeune femme pour entretenir
la moindre illusion : Fiora irait jusqu’au bout de la tâche qu’elle s’était
assignée, quelles qu’en puissent être les conséquences.
Léonarde
se borna donc, sur le moment, à dire qu’elle avait demandé que l’on servît le
souper dans leur grande chambre et s’en alla en informer leurs compagnons.
Le
repas que l’on prit en commun fut excellent car maître Huguet y avait apporté
un soin tout particulier et se déroula dans une atmosphère joyeuse. Fiora était
heureuse d’avoir pu accomplir le pèlerinage qu’elle souhaitait et plus encore d’avoir
rencontré ce jeune oncle vers lequel se penchait instinctivement son cœur
compatissant. Elle voyait dans ce hasard heureux un signe du destin.
Assis
en face d’elle, Christophe de Brévailles n’était pas loin de se croire en
paradis. Les deux nuits précédentes, il les avait passées, dans un bois d’abord,
puis dans un trou de haie, mangeant le pain qu’il avait emporté du couvent et
quelques fruits sauvages, buvant de l’eau des ruisseaux. Il n’avait pas été
malheureux parce que la saison était belle et qu’il était soutenu par ce désir
accroché en lui depuis tant d’années : voir la tombe près de la fontaine
Sainte-Anne et y prier car, s’il fuyait le couvent, il n’avait pas perdu pour
autant la foi. Et voilà qu’au moment où il allait devoir décider de son avenir
et se choisir un chemin – mais dans quelle direction ? – le ciel avait
suscité cette belle jeune fille qui était l’image identique de ceux qu’il avait
tant pleurés. Et le même sang coulait dans leurs veines. Grâce à elle, sa vie
misérable venait de prendre un tour nouveau et il ne pouvait s’empêcher de
trouver amusant, lui qui n’avait jamais rencontré que des gens de son terroir,
de partager la même table avec un médecin venu de Byzance, un Espagnol de
Castille, sans compter cette ravissante nièce tombée du ciel qui se voulait
florentine, bien qu’elle ait vu son premier jour de douleur sur la paille d’une
prison bourguignonne... Elle avait vraiment les plus beaux yeux du monde et que
ce prénom de Fiora était donc joli ! ... Sans compter que ce repas était
bien le meilleur qu’il eût jamais dévoré de toute sa vie !
De son
côté, en vrai philosophe volontiers épicurien, Démétrios se contentait de
goûter l’instant de chaude convivialité autour d’une table agréable. Il était
satisfait que Fiora eût commencé sa quête tragique par un succès et en tirait
les meilleurs augures pour ce qui leur restait à accomplir même si le but final
pouvait, d’ici,
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