Fiora et le Téméraire
costume gris foncé, ses bottes noires et le chaperon drapé qui
cachait sa tonsure. Esteban, pour qui un homme sans arme est un homme
incomplet, avait ajouté une dague d’une facture un peu archaïque mais en bon
acier de Tolède. Elle avait fait sourire l’ancien moine :
– Je
n’ai jamais appris à me servir de cela, dit-il. On en porte rarement au
monastère...
– L’épée
demande un long apprentissage mais, en cas de danger, on se sert de la dague
presque instinctivement, lui répondit le Castillan. En outre, n’avez-vous pas
dit que vous vouliez être soldat ? L’armée vous enseignera...
Christophe
venait donc remercier Fiora de tous ses bienfaits et la saluer avant de s’éloigner
car il ne voulait pas être à sa charge plus longtemps.
– Vous
voulez nous quitter déjà ? dit celle-ci. Je vous assure que, si charge il y
a, elle est bien légère et j’étais heureuse d’avoir, auprès de moi, quelqu’un
de ma famille. Mais je comprends que vous ayez hâte d’aller vers un nouveau
destin. Quel chemin comptez-vous prendre ? Hier vous sembliez hésiter ?
– Je
n’hésite plus. J’ai beaucoup réfléchi cette nuit et je crois que je vais
rejoindre l’armée du duc Charles !
Fiora
eut un haut-le-corps :
– Vous
semble-t-il donc un maître tellement souhaitable alors que votre mère, jadis, a
vainement imploré sa pitié ?
– Je
sais, mais votre ami grec, hier, m’a dit une chose qui m’a donné à réfléchir.
Je voulais chercher la mort, il m’a conseillé de chercher plutôt la vie et d’essayer
de me faire un nom. Or, je suis bourguignon quoi qu’il en soit et, ce nouveau
nom, j’aimerais qu’il soit de Bourgogne. Hier, après souper, je suis descendu
avec Esteban dans la salle d’auberge et j’ai écouté parler des marchands. Ils
disaient qu’un légat du pape s’est entremis pour faire cesser le trop long
siège de Neuss. Le duc songerait à ramener son armée en Lorraine afin de punir
le jeune duc René II qui a rompu leur alliance. On dit aussi que le roi de
France fait marcher ses troupes sur l’Artois d’une part et sur la Comté Franche
de l’autre. Il va y avoir de la besogne pour défendre le pays. Je veux en être.
Vous, vous allez partir pour la France, n’est-ce pas, puisqu’un plus long
séjour vous mettrait en danger ?
Christophe
ignorait en effet que Fiora avait décidé de rester à Dijon. La veille au soir,
le jeune homme s’était retiré avec Esteban pour aller boire dans la salle un
dernier gobelet de vin. C’était alors que la jeune femme avait avisé Léonarde
et Démétrios de ce qu’elle pensait faire. Bien qu’il lui eût inspiré une
instinctive sympathie, elle estimait qu’elle ne connaissait pas suffisamment
Christophe pour lui faire part de tous ses projets. Mais comme elle crut
déceler de l’inquiétude dans son regard, elle lui sourit gentiment :
– Je
n’aime pas quitter un endroit sous prétexte que je pourrais y craindre quelque
chose. D’autant que j’ai envie de mieux connaître cette ville que mon père
aimait. Il se peut que je reste encore quelques jours.
– C’est
de la folie ! Vous avez entendu dame Léonarde hier au soir ? Ce
misérable Regnault du Hamel vit ici et il est toujours aussi mauvais. S’il
allait vous rencontrer ? Vous ressemblez tellement à ma douce Marie !
...
– C’est
peut-être là ma grande différence avec ma mère. Elle était infiniment douce,
tendre et vulnérable – ce que je ne suis pas... ou, plutôt, ne suis plus !
Si le sire du Hamel s’en prend à moi – et je ne vois pas sous quel prétexte
valable il pourrait m’attaquer – soyez sûr que je serai sur mes gardes. D’ailleurs
j’ai de bons défenseurs. Partez tranquille ! Un jour peut-être nous nous
reverrons...
L’entrée
tumultueuse de Léonarde lui coupa la parole. La vieille demoiselle rayonnait
littéralement de satisfaction et, n’ayant pas vu Christophe, lança du seuil :
– J’ai
ce qu’il nous faut ! Une maison juste en face de celle qui nous
intéresse...
S’apercevant
que la jeune femme n’était pas seule, elle s’arrêta court et devint toute
rouge, ce qui amusa Fiora : c’était la première fois qu’elle voyait à sa
vieille Léonarde les couleurs de la confusion. Mais il y eut soudain un silence
gênant. Christophe de Brévailles regarda tour à tour les deux femmes. Ses épais
sourcils s’étaient froncés mais il avait pâli :
– Et
pour mieux visiter
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