Fiora et le Téméraire
l’assentiment de son suzerain, c’est-à-dire
nous !
– C’est
une faute sans doute mais je crains, mon fils, qu’aux yeux de Dieu il en aille
autrement. Qui vous a mariés, mon enfant ?
– Le
prieur du couvent San Francesco à Fiesole, Eminence.
– Vous
étiez consentante ou contrainte ?
– Consentante...
et si heureuse !
– Et
messire de Selongey ? Etait-il heureux lui aussi ?
– Il
le disait... mais peut-être vaudrait-il mieux le lui demander. Il avait juré de
m’aimer et de n’aimer que moi. Il se peut qu’il ait menti...
– Vous
en aviez juré autant ? Et cependant, si ce que l’on rapporte est vrai...
– Je
me suis donnée au comte de Campobasso, c’est exact. Je croyais mon mariage
nul... et je pensais avoir été bafouée.
– L’aimez-vous
donc, lui aussi ?
– Non...
murmura Fiora qui sentit ses joues s’enflammer, mais... j’ai été... trahie par
la nature et j’avoue y avoir pris plaisir.
– Je
vois... et je vous sais gré de votre franchise. A présent, monseigneur, je
souhaiterais apprendre de vous comment vous entendez faire cesser ce que vous
appelez... « une situation scandaleuse » puisque, à l’exception des
intéressés, de Votre Seigneurie et de moi-même, personne jusqu’à présent n’en
sait rien ?
– Elle
l’est à mes yeux, et devrait l’être aussi à ceux de Votre Eminence, fit le duc
avec hauteur. Certes, Selongey et Campobasso n’ont pas donné la véritable
raison de leur querelle et le duel découle naturellement de la rixe qui les a
opposés. C’est à l’issue de la rencontre qu’il nous faudra prendre une décision :
si Selongey l’emporte il n’en demeure pas moins l’époux d’une femme adultère et
celle-ci devra être exécutée...
– N’est-ce
pas une solution un peu... excessive ? Donna Fiora me semble avoir
quelques excuses et, avant de la livrer à l’épée du bourreau...
– Je
ne souhaite pas en venir là car, même en la faisant mourir au fond d’une
prison, il en resterait toujours une trace. Voilà pourquoi je fais appel à
Votre Eminence. En tant que légat de Sa Sainteté Sixte IV, vous avez tous
pouvoirs pour prononcer l’annulation du mariage. Ainsi, et quelle que soit l’issue
du combat, cette créature pourra aller se faire pendre ailleurs et, s’il plaît
à Campobasso de la ramasser, personne n’y verra d’inconvénients.
Dans
un bruissement soyeux, Mgr Nanni se leva brusquement et, bien que debout il fût
vraiment petit, il revêtit une impressionnante majesté qui dut frapper Charles
de Bourgogne car il se leva à son tour :
– Vous
faites, il me semble, très bon marché de la vie d’une femme et des sacrements
du Seigneur, fit sévèrement le légat. Nul n’a le droit de séparer, fût-ce par
le glaive, ceux qui se sont unis devant Dieu de bonne foi. Si votre Selongey a
été assez bête pour s’estimer amoindri par un mariage avec la fille d’un riche
Florentin, il est l’unique responsable de ce qui lui arrive. Un autre a pris ce
qu’il dédaignait et c’est tant pis pour lui. Qu’il s’en explique avec cet autre
et qu’ils s’entre-tuent est leur affaire. Mais je refuse que cette pauvre
enfant, déjà bien éprouvée, devienne leur victime expiatoire. Attendons l’issue
du duel. Si, à ce moment, l’un des deux époux demande l’annulation, j’étudierai
la question. Pas avant !
-Je
peux vous prédire que Philippe désirera cette annulation. Il ne peut souhaiter
demeurer uni à une telle femme !
– Surtout
si vous l’y contraignez. Songez seulement qu’il va se battre pour elle...
– Pas
pour elle ! Pour son honneur bafoué !
– L’honneur
paraît infiniment plus précieux quand il a d’aussi beaux yeux !
– Eminence !
protesta le duc indigné, votre indulgence envers cette créature est, en vérité,
excessive, déroutante. Est-ce parce qu’elle est italienne, comme vous ?
– Je
pourrais m’estimer offensé si je ne savais à quels excès peut vous porter la
colère, monseigneur. En tout cas, je serais fort surpris que cet étrange mari
vous laisse conduire sa femme à l’échafaud.
– Alors,
ce sera l’annulation. Je saurai bien l’en convaincre car il est digne d’une
princesse et cette fille de marchands...
– Pourrait
alors avoir le regret de vous réclamer, coupa Fiora, les cent mille florins d’or
de sa dot ! Vous voyez, monseigneur, vous n’avez d’autre solution que de
la faire
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