Fiora et le Téméraire
l’un
des habitants ou l’attaquera dans ses biens sera puni de mort !
A sa
surprise, ce même soir décidément fertile en événements, Fiora apprenait que le
légat du pape avait obtenu qu’elle fût placée sous sa protection immédiate et
qu’elle suivît tous ses déplacements jusqu’à ce que l’issue du combat entre
Selongey et Campobasso permît de statuer sur son sort. Le jeune Colonna
demeurait momentanément attaché à son service et elle comptait bien obtenir de
l’aimable prélat qu’on lui rendît Esteban.
Aussi,
dès le lever du jour, Battista la conduisit rejoindre la petite troupe de
prêtres et de moines qui composaient l’escorte de Mgr Nanni. Annoncée pour le
commun des mortels comme une dame pèlerine désireuse de se recueillir devant
les reliques de saint Epvre, elle prit place dans la litière de voyage du
prélat cependant que celui-ci enfourchait une mule pour faire, dans la ville,
une entrée plus proche du cœur des habitants. Par une de ces délicatesses
inattendues et dont il avait le secret, le Téméraire avait décidé que Dieu, en
la personne du légat, entrerait le premier dans la cité conquise avec l’espoir
que ce geste apaiserait quelques rancœurs et disposerait favorablement pour lui
les cœurs de ces ennemis d’hier dont, en toute bonne foi, il souhaitait faire
les loyaux sujets de demain.
Aucune
manifestation de joie, cependant, n’accueillit ce prélat qui précédait le
vainqueur mais, devant lui, la foule, d’un mouvement unanime, s’agenouilla sous
sa main bénissante :
– Reprenez
espoir, mes enfants, répétait-il avec une pitié qui ressemblait à de la
tendresse, le duc Charles ne vous veut aucun mal et vous n’aurez point à
souffrir de son fait...
Derrière
les rideaux de la litière frappée aux armes papales, Fiora regardait ces gens
vêtus de noir, ces visages creusés par les privations, ces maisons dont
certaines montraient des toits crevés par les boulets de canon et d’autres de
plus graves blessures. L’odeur de la mort et des incendies semblait attachée
aux murailles et elle eut honte d’entrer ainsi, cachée sans doute, mais
présente, dans ce cortège qui préludait à celui du vainqueur. Heureusement, la
litière pénétra directement dans le palais ducal qui se composait alors de
quatre bâtiments ordonnés autour d’une cour centrale [xvii] et s’arrêta
dans ladite cour tandis que le légat allait prendre place dans la collégiale
Saint-Georges, voisine immédiate du palais, pour y accueillir le nouveau
maître. Battista Colonna apparut aussitôt devant Fiora :
– Les
fourriers de monseigneur Charles ont travaillé toute la nuit pour préparer des
logements. Il y en a un pour vous. Voulez-vous qu’on vous le montre tout de
suite ou préférez-vous regarder la « joyeuse entrée » ?
– Ce
que j’en ai aperçu jusqu’ici n’augure pas une franche liesse mais je préfère
néanmoins assister à l’arrivée du duc...
Elle
eut juste le temps de gagner, dans une grande salle déserte, une fenêtre du
premier étage : les six trompettes d’argent qui ouvraient la marche
sonnaient sous la porte de la Craffe. Derrière elles venaient une centaine d’hommes
d’armes précédant une compagnie de chevaliers empanachés sous les flammes
brillantes de leurs pennons diversement colorés. Le Téméraire apparut à
quelques pas derrière eux et sa splendeur coupa le souffle des assistants :
montant son cheval favori, le Moro, caparaçonné de pourpre et d’or, il portait
un ample manteau entièrement brodé d’or qui s’étalait sur la croupe du cheval,
le grand collier de la Toison d’or et, sur la tête, la plus fabuleuse coiffure
qui se puisse admirer : une haute barrette de velours couverte de perles,
entourée d’une guirlande de rubis et de diamants et surmontée d’un fermail
composé de trois gros rubis, célèbres d’ailleurs, et que l’on appelait les
Trois Frères, de quatre perles énormes et d’un diamant pyramidal qui captait le
moindre reflet lumineux. Sous ce chapeau de parade, plus précieux sans doute
que la couronne impériale, le Grand Duc d’Occident rayonnait d’orgueil et
jouissait visiblement de la stupeur émerveillée de la foule 1 attendant des acclamations qui ne venaient pas : rien qu’un chuchotement
qui courait sur la foule comme une risée de vent sur de l’eau calme... Dans le
miroir de sa mémoire, Fiora revit la silhouette grise du roi de France et pensa
qu’en
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