Fiora et le Téméraire
calme fraîcheur
des montagnes, les rescapés de Morat avaient pu prendre un peu de repos et
retrouver leur souffle.
Les
premières nouvelles qui arrivèrent à La Rivière jetèrent le Téméraire hors de
lui. Alors que les états de Bourgogne avaient accepté de l’aider, ceux de
Flandres, réunis à Gand, avaient non seulement refusé de lui apporter quelque
aide que ce fût mais encore prétendaient rogner sur les sommes précédemment
allouées à l’armée sous prétexte qu’il n’y avait plus d’armée.
– Plus
d’armée ! vociféra le duc. Ces misérables Flamands verront bientôt si je n’ai
plus d’armée ! Je marcherai contre leurs insolentes cités dès que j’aurai
châtié les bouviers des Cantons. Quant à cet âne de chancelier Hugonet qui s’est
laissé tenir pareil langage il en répondra sur sa propre fortune. Je vais faire
saisir ses biens...
Plus
grave encore : le duc René II dont la grand-mère, la vieille princesse de
Vaudémont, venait de mourir en lui léguant une fortune avait enrôlé des
mercenaires suisses et alsaciens, obtenu de la ville de Strasbourg qu’elle lui
prêtât son artillerie et venait de libérer Lunéville. On prétendait qu’il
allait se diriger sur Nancy pour en chasser les Bourguignons.
Cette
nouvelle fit battre plus vite le cœur de Fiora. Elle savait où était Démétrios.
Il fallait maintenant voir aux moyens de le rejoindre au plus tôt.
– Cela
ne va pas être facile, dit Léonarde, soucieuse. Sortir à la fois de ce château
plus fermé qu’un coffre de marchand et de ce camp qui se forme autour et qui
grandit chaque jour pose un problème difficile à résoudre car, avec ce grand
amour que vous porte le duc – et même si vous ne vous en êtes pas encore rendu
compte – vous êtes aussi surveillée que si vous étiez sa fiancée...
– Il
faudra tout de même bien trouver un moyen. Je ne vais pas me laisser emmener
encore par-delà les monts quand c’est à Nancy que je dois aller ?
Cette
dernière crainte fut vite effacée. Une fois sa colère passée, le duc Charles
changea ses plans du tout au tout : plus question de courir sus aux
Cantons avec lesquels d’ailleurs semblaient s’amorcer timidement quelques
bruits de pourparlers. Désormais c’était vers le nord qu’il allait falloir
marcher pour chasser définitivement de Lorraine les hommes de René II, car la
Lorraine était le lien des deux Bourgognes, le maillon indispensable et trop
chèrement acquis pour le laisser se rompre...
– Voilà
qui simplifie les choses, commenta Léonarde. Nous ne savions pas comment nous
rendre à Nancy et voici que l’on se propose de nous y conduire. L’armée se
rassemble tous les jours. Bientôt nous partirons...
Le
vaste plateau en effet se peuplait presque à vue d’œil. La Bourgogne tenait ses
promesses et envoyait des troupes et des armes. On vit venir des Picards, des
Wallons et des Luxembourgeois, quelques Anglais aussi obtenus non sans peine du
roi Edouard par la duchesse Marguerite. Galeotto rejoignit l’un des premiers
avec ses lances et ses charpentiers. Les soldats s’installaient dans les
villages et les hameaux dont les habitants retenaient leur souffle en dépit des
ordres sévères du Téméraire touchant le vol, le viol ou le pillage. D’autres
campaient directement sous la tente et leurs feux de cuisine, la nuit venue, s’échevelaient
sous le vent venu des montagnes. Le château s’emplissait de seigneurs et de
capitaines qui y menaient grand bruit. Ce n’étaient que colloques,
conciliabules, beuveries aussi il faut bien le dire, et Fiora ne quittait plus
son appartement où Panigarola venait souvent se réfugier quand il était las des
récits d’exploits guerriers. Elle ne voyait presque plus le duc et ne s’en
plaignait pas. Le temps n’était plus aux chansons : le bruit des armes
avait pris leur place et emplissait tout. Les oiseaux eux-mêmes et les animaux
des bois fuyaient vers la montagne... Et puis, un matin, Panigarola vint faire
ses adieux à Fiora.
En le
voyant paraître botté et son manteau de cheval sur le bras, la jeune femme
comprit ce qu’il en était avant même qu’il n’ait ouvert la bouche :
– Ne
me dites pas que vous partez ?
– C’est
bien cela pourtant. Le duc vient de me donner mon congé avec plus de bonne
grâce d’ailleurs que je n’aurais osé l’espérer dans de telles circonstances...
– Milan
et la Bourgogne ne sont plus
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