Fiora et le Téméraire
n’eût jamais fait défaut. Mais c’étaient
les troupes de la dernière chance. Qu’une nouvelle défaite les disperse ou les
anéantisse et il n’y aurait plus rien, plus même de Bourgogne dont les clochers
vides n’avaient plus de bronze à fournir. Dix mille hommes, pas plus, c’est
tout ce que le Téméraire traîne après lui et sur lesquels il compte pour
chasser une fois de plus l’Enfant de sa terre natale.
Sous
le chaperon noir qu’elle a repris pour cacher ses cheveux déjà longs, Fiora
chevauche à la queue du cheval du Téméraire et en compagnie de Battista. Elle
est si sombre que le page n’ose même plus chanter. Panigarola lui manque. Sa
culture et sa philosophie en faisaient un compagnon inégalable grâce à qui le
plus long chemin se parcourait sans peine. Les nouvelles qu’elle en avait
reçues n’étaient pas des meilleures : en arrivant à Saint-Claude, le légat
papal avait dû se coucher sous les assauts d’une bronchite jointe à une attaque
de goutte. Il n’était pas près de rejoindre le duc Charles...
Celui-ci
bouillait d’impatience. Savoir René II devant Nancy le rendait malade et aussi
l’obligatoire lenteur d’une armée dont tous les membres n’étaient pas montés,
tant s’en faut ! Quatre à cinq lieues par jour, sous le poids des armes, c’était
tout ce que l’on pouvait demander à l’infanterie alors que le Téméraire rêvait
de voler comme l’aigle pour fondre enfin sur son ennemi.
Par
Levier, Ornans, Besançon et Vesoul, on atteignit les confins de la Lorraine où
l’on s’enfonça vers l’ouest afin d’éviter les villes déjà reconquises par René.
Le Téméraire ne voulait pas gaspiller ses forces. Il voulait d’abord Nancy et,
pour cela, il fallait qu’il rejoigne les troupes de Campobasso, de Chimay et de
Nassau auxquelles il avait donné l’ordre de venir à sa rencontre à Toul... Le 7
octobre, il faisait son entrée dans Neufchâteau... à l’instant même où René II
entrait dans sa capitale retrouvée et en chassait le gouverneur bourguignon,
Jean de Rubempré seigneur de Bièvres. Fou de rage, le duc Charles faillit tuer
le messager qui lui en apportait la nouvelle...
Néanmoins,
son armée grossissait. Quand il eut fait, à Toul, sa jonction avec Campobasso –
qui d’ailleurs se fit attendre – et récupéré les troupes – environ quinze cents
hommes – évacuées de Nancy par Jean de Rubempré, il se vit à la tête d’un
effectif de dix-huit mille soldats. C’était plus que n’en pouvait aligner le
jeune duc de Lorraine et tous les espoirs demeuraient permis. D’autant que le 17,
les Bourguignons battaient une partie de ses gens à Pont-à-Mousson. La route de
Nancy était ouverte...
Charles
crut tout de bon que son étoile enfuie brillait à nouveau au-dessus de sa tête
quand il apprit que René venait, une fois de plus, de quitter Nancy pour se
procurer un surcroît de troupes. Celui-ci laissait la ville aux plus coriaces
de ses fidèles : Gérard d’Avilliers, les frères d’Aguerre, Petit-Jean de
Vaudémont, renforcés de deux capitaines gascons : Pied-de-Fer et Fortune.
Deux mille hommes avec eux :
– Nous
tiendrons au moins deux mois, lui dirent-ils, mais faites vite ! Sinon,
ensuite, ce sera la faim qui nous décimera...
Jean
de Rubempré, en effet, et la garnison en grande partie anglaise de la ville
avaient résisté près de deux mois au duc René. Depuis que celui-ci y était
entré, elle n’avait guère eu le temps de refaire des approvisionnements qui
faisaient déjà cruellement défaut puisque l’on en était venu à manger les
chevaux, et pas davantage de réparer ses murailles écornées. Aussi, quand, le
22 octobre, le Téméraire investit la ville et fit reconstruire auprès de la
Commanderie Saint-Jean sa maison de bois, était-il sûr que la victoire était à
portée de sa main.
– Nous
fêterons Noël au palais comme l’an passé, dit-il joyeusement à Fiora, et je
donnerai une si belle fête que vous dédaignerez le souvenir de celles des
Médicis...
Elle
le remercia d’un sourire machinal mais le cœur n’y était pas. A nouveau, il
était avec elle amical, chaleureux, allant jusqu’à les installer, Léonarde et
elle, dans une chambre de son logis de campagne. De même, il avait tenu sa
parole et elle n’avait pas revu Campobasso. Elle lui était reconnaissante mais
pas moins désorientée. Ce René II qui fuyait tel un mirage dès que l’on
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