Fiora et le Téméraire
permettez à un vieil ami de vous
embrasser car vous lui êtes devenue chère. Portez-vous bien, donna Léonarda !
– Je
n’y manquerai pas, messire, fit celle-ci avec une petite révérence et j’en
souhaite tout autant à Votre Excellence !
Le
soir venu, le duc Charles, à la surprise de Fiora, se fit annoncer chez elle.
Et elle constata du premier regard qu’il était triste.
– Je
viens vous demander à souper, donna Fiora, dit-il en prenant sa main pour la
relever de sa révérence. Et, à moins que cela ne vous contrarie, on servira
ici.
-Monseigneur
ne sait-il pas qu’il est chez lui ?
– Ne
soyez pas si cérémonieuse. Vous devez être aussi affligée que moi. N’avons-nous
pas perdu un ami ?
– Je
ne crois pas. Vous avez perdu l’ambassadeur, non l’ami qui vous reste
certainement attaché.
– Puissiez-vous
dire vrai mais je mesure à ces défections combien la gloire de la Bourgogne est
ternie. Il est urgent qu’une grande victoire lui restitue tout son éclat.
Heureusement vous me restez.
En
dépit de ce qu’avait dit Panigarola, Fiora ne put s’empêcher de tenter sa
chance :
– Tenez-vous
vraiment à m’emmener encore en guerre, monseigneur ? J’en suis...
affreusement lasse ! La guerre me fait horreur...
– Vous
voulez me quitter, vous aussi ? Qu’est devenu mon jeune écuyer si vaillant ?
Qu’est devenue la dame de Selongey qui tenait tant à maintenir auprès des
miennes les couleurs de son époux ?
– Elle
a vu verser trop de sang. Ne lui accorderez-vous pas de se retirer à Selongey ?
– Pour
y vivre dans la solitude d’un château campagnard ? Non, donna Fiora, je ne
crois pas que cela vous tente. Il y a autre chose n’est-ce pas ? Cette
amitié qui m’était si douce n’était qu’un leurre ? Comme les autres vous
voulez me fuir parce que vous me croyez fini, détruit...
Il s’énervait.
Sa voix montait déjà. Devinant alors qu’il lui fallait prendre le dessus, Fiora
s’écria :
– Vous
avez raison : il y a autre chose. Campobasso va vous revenir et moi je ne
veux plus jamais revoir cet homme ! C’est pour cela que je vous demande
mon congé...
– Ce
n’est donc que cela ? Alors rassurez-vous. Je promets que vous ne le
verrez pas. Il est vrai qu’il a demandé à reprendre du service sous ma
bannière. C’est un bon capitaine et j’ai malheureusement besoin de ses soldats
mais il ne viendra pas ici. Je lui ai ordonné d’aller prendre position entre
Thionville et Metz où il attendra le prince de Croy et le duc Engelbert de
Nassau qui vont venir des Pays-Bas avec cinq mille hommes de pied. Dans peu de
jours il faut que nous ayons quitté La Rivière. L’Enfant a mis le siège devant
Nancy et je veux le prendre à revers. Vous serez auprès de moi comme naguère
mais Olivier de La Marche aura ordre de veiller sur vous et de vous tenir à l’écart
lorsque Campobasso viendra me voir. Mais je ne veux pas que vous me quittiez.
Il faut, vous entendez, il faut que vous demeuriez à mes côtés. Ne me demandez
pas pourquoi !
Et,
oubliant qu’il s’était invité à souper, le Téméraire s’enfuit. La porte retomba
derrière lui et le bruit s’en prolongea un instant dans le silence qui s’était
établi dans la chambre.
– Eh
bien ! soupira Léonarde. Nous souperons seules !
– J’aime
autant cela mais avouez tout de même que c’est effrayant ! Jamais je ne
pourrai lui échapper..,
– N’y
pensez pas ! Vous ne devez plus avoir en tête qu’une seule idée : nous
allons partir pour Nancy. N’est-ce pas là le principal ? Ce serait bien le
diable si dans le tohu-bohu d’une guerre nous n’arrivions pas à fausser
compagnie à monseigneur. Et si le jeune Colonna n’est pas encore parti, eh
bien, nous l’enlèverons.
– Léonarde,
dit Fiora avec conviction, vous m’étonnerez toujours. Enlever Battista ?
– Pourquoi
pas ? Ce pourrait être très amusant...
Le 25
septembre au matin, l’armée si péniblement reconstituée quittait La Rivière...
D’aucuns auraient dit une apparence d’armée tant le contraste était poignant
avec la superbe machine de guerre que deux semblants de bataille avaient
réduite en miettes. Vieux soldats recuits au feu des mitrailles et jeunes
recrues, la Bourgogne, la Picardie, le Luxembourg et le Hainaut avaient apporté
tout ce qu’ils pouvaient fournir pour les adjoindre aux lances fidèles de
Galeotto, le seul mercenaire dont la loyauté
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