Fiora et le Téméraire
homme ! s’écria Panigarola enthousiasmé. En voilà au moins un qui ne
considère pas la guerre comme le dernier des beaux-arts !
Ce n’était
évidemment pas l’avis du Téméraire qui avait réuni à Salins les états de
Haute-Bourgogne pour leur expliquer la nécessité de lui venir en aide dans sa
guerre contre les Suisses, cette guerre à laquelle il ne voulait pas renoncer.
Il fit alors à ses sujets un superbe discours, appuyé sur Tite-Live et sur les
grands exemples de combats perdus et de guerres gagnées. Il n’avait entrepris
tout cela que pour les protéger, eux, leurs femmes, leurs enfants et leurs
biens contre le danger mortel des Suisses et des Français. Il fit tant et si
bien que son auditoire presque en larmes s’engagea à financer la protection des
frontières mais à deux conditions : que le duc cessât de s’exposer en
personne et qu’il conclût la paix dès que l’occasion s’en présenterait. Charles
jura tout ce que l’on voulut et se remit au travail avec enthousiasme :
– Donna
Fiora, déclara-t-il à la jeune femme un soir où, comme cela lui arrivait de
plus en plus souvent, elle venait de chanter en compagnie de Battista, quand j’aurai
vaincu tous ces croquants et leur aurai repris mes biens, je ferai de vous une princesse.
Vous pourrez choisir dans mes états celui qui vous plaira le mieux. Et je vous
rendrai votre dot.
– Je
n’en demande pas tant, monseigneur. Vivre en paix dans le souvenir de mon époux
– elle avait jugé plus prudent, en effet, de ne lui rien révéler de ce qu’elle
avait appris – est tout ce que je désire. Je n’aime pas la guerre et qui
gouverne un état doit toujours s’y préparer.
– Celle-ci
sera la dernière. Ensuite, je ferai de vous le plus bel ornement de ma cour...
Fiora
ne répondit rien, trouvant à cette phrase une résonance étrange. D’ailleurs l’attitude
de Charles envers elle se modifiait encore. Il lui demanda de reprendre les
vêtements féminins qui, même s’ils étaient de grand deuil, « mettaient si
bien sa beauté en valeur ». Non seulement elle n’avait plus à essuyer ses
colères mais il était envers elle d’une galanterie extrême, lui offrait des
présents, l’interrogeait sur son enfance, ses études, sur la vie qu’elle menait
dans cette Florence dont il rêvait souvent et dont il ne désespérait pas d’y
entrer un jour en maître, car, parfois, il songeait même à conquérir l’Italie...
– Je
crois, Dieu me pardonne, qu’il est tombé amoureux de vous, déclara Panigarola
en regardant Fiora déployer une pièce d’un magnifique satin gris pâle broché d’or
qu’un chevaucheur venait de rapporter de Dijon.
– Est-ce
que vous n’avez pas un peu trop d’imagination ?
– Sûrement
pas. Je ne saurais d’ailleurs le lui reprocher mais je ne suis pas certain que
ce soit pour votre plus grand bonheur. Dans l’état d’exaltation où je le vois,
une grande passion chez un homme dont on a toujours vanté la chasteté pourrait
se révéler dangereuse.
– Que
faudrait-il faire alors ?
– Fuir !
Le plus vite et le plus loin possible. Je vous y aiderai... tant que je serai
là tout au moins.
– Est-ce
que vous songeriez à partir ?
– Je
crains fort d’être rappelé un jour prochain. Les conséquences de Morat sont
désastreuses et la politique de mon pays est en train de changer. Milan se
rapproche de la France et si mon prince rompt ses relations avec la Bourgogne.
Fiora
garda le silence un instant. L’idée de voir cet ami discret s’éloigner lui
faisait peine. Rejetant le tissu brillant elle marcha lentement jusqu’à la
fenêtre qu’un somptueux coucher de soleil incendiait :
– Si
vous partez, il vous faudra emmener Battista car je ne resterai pas non plus.
De toute façon, je ne suivrai pas le duc dans une autre guerre. J’ai vu
Grandson et Morat : cela me suffit.
Néanmoins,
dans les jours qui suivirent, le duc se montra plus calme. Il décida de quitter
Salins pour le château de La Rivière, grande bâtisse féodale hérissée de tours
et pourvue d’un imposant appareil militaire, située à trois ou quatre lieues de
Pontarlier, sur un haut plateau jurassien assez triste mais suffisamment vaste
pour que l’on y rassemblât une armée. Sa maison et ses familiers l’y suivirent.
Fiora y trouva un appartement plus riche qu’elle n’en avait eu depuis longtemps
mais c’en était fini des jours paisibles de Salins où, dans la
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