Fiora et le Téméraire
croyait
s’approcher de lui en venait à l’exaspérer. Où était-il à présent ? A
Strasbourg, à Berne, à Fribourg, Dieu sait où parmi les Cantons ? Démétrios
était-il toujours avec lui ?
Et
Philippe ? Où était Philippe ? Était-il guéri de ses blessures et, en
ce cas, le retenait-on dans quelque prison ? Les points d’interrogation se
succédaient dans l’esprit découragé de la jeune femme et elle ne voyait pas où
il fallait en chercher les réponses.
– Si
le duc de Lorraine est parti chercher du secours, il finira bien par revenir,
prédisait Léonarde toujours pratique. Cessez de vous tourmenter ; vous ne
changerez rien à cette histoire insensée que le duc Charles nous oblige à
écrire avec lui...
– Savez-vous
à quoi je pense ? Je me demande si Démétrios n’est pas dans Nancy. Une
cité assiégée a besoin d’un bon médecin tandis qu’un jeune prince en parfaite
santé peut s’en passer...
– Cela
n’a rien d’impossible. Mais je ne vois pas comment vous pourriez entrer dans
cette ville pour vous en assurer ?
Soir
après soir, de la fenêtre de sa chambre, Fiora regardait le jour tomber sur
Nancy avec le désir toujours plus ardent d’y pénétrer. Elle en venait à penser
que ces murs meurtris par le tir des bouches à feu et cependant toujours debout
retenaient aussi l’homme qu’elle aimait. Mais comment arriver jusque-là sans
essuyer le feu des défenseurs ou se faire tuer par les assaillants ? Et
elle s’effrayait quand, en fin de journée, le rouge soleil d’automne habillait
les remparts de flamme et de sang.
La
ville se défendait farouchement. Des attaques incessantes harcelaient le camp
bourguignon qui, chaque fois, y laissait des hommes. Le bâtard de Vaudémont que
la légende commençait à auréoler avait même réussi, dans la nuit de la
Toussaint, à s’approcher du quartier général des assaillants et le logis du
Téméraire n’avait échappé à l’incendie que de justesse. Vaudémont s’était fondu
dans la nuit avec ses hommes sans en laisser un seul sur le terrain mais des
cadavres marquaient son passage.
Et
puis l’hiver, avec un mois d’avance, arriva comme une tempête et mit tout le
monde d’accord en ensevelissant sous ses nappes de neige et ses écharpes de
brume assiégeants et assiégés. En une nuit tout fut blanc ; les ruisseaux
et l’étang Saint-Jean se figèrent et la Meurthe elle-même se mit à charrier des
glaçons. La faim et ses souffrances s’installèrent dans Nancy, le froid, la
maladie et la peur dans le camp des Bourguignons. Chaque jour qui se levait
révélait des désertions.
Inquiet,
Antoine de Bourgogne tenta de faire entendre raison à son frère :
– Pourquoi
vous obstiner à cette campagne d’hiver ? Nous perdons des soldats tous les
jours. Levons le camp et allons nous abriter en Luxembourg. Au printemps nous
reviendrons...
– Ce
serait donner à René le temps de refaire une armée, à Nancy celui de se
ravitailler. Non, mon frère. J’ai décidé de passer Noël dans cette damnée ville
dont je voulais faire la capitale d’un empire. Ils ne tiendront plus longtemps.
Ils ont mangé les chevaux. A présent ils mangent les chiens, les chats et même
les rats...
Ce n’était
que trop vrai. Nancy endurait vaillamment son martyre, brûlait ses meubles pour
avoir un peu moins froid et tentait des sorties désespérées dans l’espoir de
récupérer un peu de nourriture... Les Bourguignons en manquaient moins car ils
contrôlaient, au nord de la ville, la route de Metz et du Luxembourg par où
leur venait le ravitaillement. Le trésor de guerre, en effet, se trouvait à
Luxembourg. Campobasso, Chimay et Nassau surveillaient cette route avec défense
formelle d’en bouger. C’était le duc qui, chaque matin, s’en allait visiter les
capitaines et les différents ouvrages avancés.
Fiora
appréciait ces dispositions : elles tenaient Campobasso éloigné du camp de
la Commanderie et lui permettaient de sortir sans craindre de mauvaises
rencontres. Car dans la maison de bois, l’atmosphère, enfumée par les braseros,
lui paraissait difficile à supporter. « Nous sortirons de là fumés comme
des jambons », grognait Léonarde, et chaque jour, en compagnie de
Battista, elle s’obligeait à une courte promenade autour de l’étang Saint-Jean
ou vers le bois de Saurupt. C’est ainsi qu’un jour où, profitant d’un rarissime
rayon de soleil, elle s’était avancée
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