Fiora et le Téméraire
pensons ?
– Comment
faire ? Elle est muette.
– Ce
n’est pas tout à fait certain car elle émet des sons. Jadis, en Egypte, j’ai vu
une femme qui avait perdu l’usage de la parole à la suite d’une grande frayeur.
Un imam, dont je suivais alors l’enseignement, la lui a rendue. Etant donné ce
qu’elle a enduré, cela pourrait être le cas de notre rescapée. Dès qu’elle
pourra le supporter, je tenterai une expérience. En tout état de cause, soyez
certaine, dame Léonarde, que j’entreprendrai tout pour que nous partions d’ici
le plus tôt possible. Il n’est pas bon, pour Fiora, de se retremper dans l’atmosphère
malsaine de ces anciens drames...
– Vous
l’encouragez pourtant à poursuivre ces vengeances qui lui empoisonnent le cœur ?
– L’impunité
des coupables le lui empoisonnerait bien plus encore. En outre, je n’ai aucun
pouvoir sur sa volonté qui est inflexible. Je crois voir revivre en elle ces
princesses de la Grèce antique, Antigone, Hermione ou Médée. qui allaient
implacablement au bout de leurs desseins quel qu’en soit le prix à payer...
– Libre
à vous ! Moi j’aimerais revoir en elle l’enfant qu’elle était, l’adolescente
tendre et joyeuse qui courait dans le jardin de Fiesole...
– De
toute façon, et même si le drame n’était intervenu, cette enfant-là ne pouvait
subsister. Il vient toujours un moment où la fillette fait place à la femme.
Fiora en est une, à présent, et une femme robuste, forgée au feu du malheur :
ce sont les meilleures... ou les pires ! Mais c’est là leur secret.
– Tâchez
au moins de ne pas trop la pousser dans cette seconde catégorie !
Ayant
parlé, Léonarde s’en alla voir si Chrétiennotte s’était enfin décidée à se
remettre au travail.
Démétrios
n’était pas le seul à vouloir découvrir avec certitude l’identité de la
prisonnière. Fiora, qui s’était instituée son infirmière, avait entrepris de
connaître au moins son nom et, deux jours après son arrivée, voyant que la
santé ne demandait qu’à revenir et que sa protégée progressait presque à vue d’œil,
elle lui mit dans les mains du papier et une plume préalablement trempée dans l’encre :
– Puisque
vous ne pouvez dire votre nom, lui proposât-elle doucement, écrivez-le.
Mais
la jeune malade, devenue soudain toute rouge, lui rendit ces objets en hochant
la tête d’un air si désolé que Fiora, émue, passa un bras autour de ses épaules
fragiles et l’embrassa :
– Vous
ne savez pas écrire ? C’est peu de chose et vous apprendrez vite. Mais
nous allons essayer de connaître au moins votre nom de baptême. Je vais dire
des noms et vous m’arrêterez lorsque j’aurai trouvé le vôtre...
L’inconnue
approuva avec un sourire. Le jeu devait l’amuser mais Fiora s’aperçut vite qu’elle
avait besoin d’aide car elle connaissait surtout des prénoms florentins qu’il
lui fallait traduire. Aussi trouva-t-elle plus facile d’aller chercher
Léonarde, mieux au fait qu’elle-même des prénoms portés en Bourgogne.
– Cela
ne devrait pas être trop compliqué, fit celle-ci. Dans les familles nobles, on
donne souvent aux filles le nom des duchesses, présentes ou passées. Lorsque
cette enfant est née, la duchesse s’appelait Isabelle. Vous appelez-vous
Isabelle ?
C’était
non. Fiora émit l’hypothèse que ce pouvait être Marie ? Mais ce n’était
pas non plus Marie...
– Continuons
avec les princesses, reprit Léonarde. C’est assez simple : la mère, la
grand-mère et l’épouse du duc Charles se recommandent toutes les trois de la
même patronne : Marguerite...
Léonarde
tombait juste. La jeune femme battit des mains cependant qu’un semblant de
sourire éclairait son visage :
– Marguerite...
répéta Fiora. C’est une très jolie fleur, toute blanche avec un cœur doré. Cela
vous convient bien : vous êtes toute blanche et vous avez des cheveux
couleur de soleil...
Démétrios
félicita vivement la jeune femme de son initiative et ajouta que l’on pouvait
peut-être même tenter d’aller plus loin. Quand vint le soir, tout le monde se
réunit dans la chambre de Marguerite, dont, en dépit de la chaleur, on ferma
soigneusement les fenêtres et les volets. La pièce ne fut plus éclairée que par
un chandelier posé sur un coffre assez loin du lit et par une chandelle posée à
son chevet.
Le
Grec prit Fiora par la main et la conduisit au chevet pour
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