Fiora et le Téméraire
que Marguerite se
sentît plus en confiance. Puis il se pencha sur la jeune femme :
– Je
voudrais d’abord que vous répondiez à une question afin que je sache s’il m’est
possible de vous aider. Avez-vous toujours été muette ?
Marguerite
hocha la tête négativement.
– Donc,
il y a eu un moment, dans votre vie, où vous parliez ?
– Oui...
– Avez-vous
perdu la parole à la suite d’un accident ?
– Non...
– A
la suite d’une grande peur ou d’une violente émotion ?
– Oui...
– Bien.
Alors, il est possible que je parvienne à vous la rendre. Si toutefois vous
avez confiance en moi et m’obéissez. Je vous assure que je ne cherche que votre
bien et que vous n’avez absolument rien à craindre de moi. Je ne vous ferai
aucun mal et ne vous toucherai même pas...
– Il
faut faire ce qu’il dit, Marguerite, murmura Fiora en lui prenant la main. Il
va essayer de découvrir le mal dont vous avez souffert et dont vous souffrez
encore...
Au
regard apaisé que Marguerite posa sur elle, Fiora comprit qu’elle lui faisait
confiance. Démétrios alla souffler l’une après l’autre les bougies du
chandelier, ne gardant que celle du chevet qu’il prit dans sa main et éleva un peu
au-dessus de la tête posée sur l’oreiller, de façon à ce que Marguerite n’eût
qu’à garder ses yeux ouverts pour la voir.
– Il
faut fixer attentivement la flamme, dit le médecin avec une ferme douceur. Et
il fut obéi : les yeux clairs reflétèrent la lumière dorée et la
considérèrent avec un calme absolu. Marguerite lâcha Fiora, croisa ses mains sur
sa poitrine et attendit sans manifester la moindre crainte.
– Bien !
approuva Démétrios qui, aussitôt, ordonna : A présent, regardez bien la
lumière et ne la quittez surtout pas des yeux... pas des yeux... pas des
yeux... pas des yeux...
La
voix profonde, incantatoire du Grec entraînait avec elle une sorte de paix, un
calme auquel furent sensibles les trois spectateurs. Cependant les paupières de
Marguerite frémissaient comme si elles souhaitaient se fermer et que sa volonté seule les retînt.
– Vous
avez sommeil, très sommeil... Vos paupières sont si lourdes... Ne luttez pas
contre le sommeil qui vous envahit. Laissez-vous aller... dormez, dormez !
Tous vos membres sont détendus, votre corps est infiniment las ; il
réclame le repos... Abandonnez-vous à ce repos... Dormez... dormez... dormez !
...
A
présent, les paupières étaient complètement fermées.
Les
mains étaient retombées, sans force, le long du corps. La respiration devint
régulière. Un instant, le silence régna dans la chambre paisible. Chacun
retenait son souffle. Démétrios alors reprit :
– Je
sais que vous dormez, Marguerite, mais m’entendez-vous ?
Lentement,
celle-ci approuva de la tête...
– Bien...
Maintenant votre esprit se trouve libéré de votre corps et les influences
mauvaises sont repoussées. Nous allons ensemble remonter dans votre vie jusqu’à
votre enfance. Considérez-vous, Marguerite. Vous avez dix ans... Vous parlez
alors ?
Des
larmes montèrent instantanément aux yeux de la dormeuse. Elle fit signe que oui
mais aussitôt eut le réflexe de protéger sa tête contre d’invisibles coups.
Fiora serra ses mains l’une contre l’autre si fort que ses ongles lui
meurtrirent les paumes...
– Vous
étiez une enfant malheureuse et cependant vous parliez. Que s’est-il passé
ensuite ? Regardez votre vie de façon à revenir vers le drame où vous avez
laissé votre voix. Egrenez les années...
Soudain,
le corps de Marguerite commença à s’agiter. Les draps furent rejetés cependant
que, de ses deux bras, la dormeuse cherchait à repousser quelque chose qui l’horrifiait.
Elle faisait des efforts terribles pour garder ses jambes jointes et, malgré
tout, quelque chose les écartait irrésistiblement. Elle pleurait, elle gémissait...
et tout ceci était d’une clarté incroyable :
– Dios !
souffla Esteban : elle a été violée...
Puis
tout s’apaisa et Marguerite demeura inerte, comme privée de vie. Démétrios lui
accorda un moment de repos puis revint vers elle.
– Est-ce
au moment de cette affreuse épreuve que vous avez perdu l’usage de la parole ?
Marguerite
hocha lentement la tête de droite à gauche.
– Donc
c’était après. Souvenez-vous de ce qui s’est passé ensuite. Il faut que vous
reveniez à l’instant où votre voix s’est éteinte... Est-ce si
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