Fiora et le Téméraire
toute seule. Fiora le comprit et alla attendre dans le
jardin que le festin fût achevé.
La
nuit était belle d’ailleurs et c’était l’époque des étoiles filantes. Assise
sur un banc près d’un grand massif de lis neigeux qui embaumaient, la jeune
femme laissa son regard et son esprit se perdre dans le bleu profond du ciel,
cherchant à retrouver les constellations qu’à Florence le vieux maître
Toscanelli lui avait appris à reconnaître. L’an passé, en ce mois d’août, elle
séjournait dans la villa de Fiesole avec son père bien-aimé et se croyait
éperdument amoureuse de Giuliano de Médicis. Rien ne manquait alors à son
bonheur de jeune fille gâtée, choyée. Sa vie se déroulait aimable et fleurie
comme ce satin de la Chine que Francesco Beltrami avait acheté pour sa fille
chérie lors d’un de ses voyages à Venise. Et puis, tout avait basculé dans une
sorte d’enfer démentiel où s’était abîmée sa vie, un chaos incohérent hérissé d’épines
cruelles qui l’avaient déchirée, ne laissant vivre, de son jardin secret, que
la grande fleur pourpre, superbe et vénéneuse, de la passion. Ses racines
tortueuses et insinuantes étaient armées de griffes puissantes qui ne se
laissaient arracher qu’avec des lambeaux de chair et, telle l’hydre de la
légende, repoussaient aussitôt, plus impérieuses encore. Quiconque respirait le
parfum violent mais suave de cette fleur en demeurait assujetti, esclave et
Fiora, ce soir, au creux de ce jardin, osait s’avouer qu’en dépit de tout ce qu’elle
avait souffert par lui, elle aimait encore Philippe et sans doute l’aimerait-elle
jusqu’à son dernier soupir. La fleur pourpre ne mourrait qu’avec sa vie à elle.
Elle
se signait machinalement, chaque fois que, là-haut, un minuscule météore
scintillant rayait le velours sombre de la nuit. Certains prétendaient que
chaque étoile filante était une âme entrant en paradis. D’autres que c’était
signe de bonheur et qu’il convenait de formuler un vœu mais Fiora, en dépit du
geste pieux qui lui venait, ne croyait ni à l’un ni à l’autre...
Le
sable du jardin crissa sous les pas d’Esteban et, sans souffler mot, il s’assit
sur le banc, à la place qu’elle lui indiquait auprès d’elle. Il ne lui laissa
pas le temps de poser la moindre question :
– Vous
ne vous êtes pas trompée, madonna, c’est bien lui. Je l’ai suivi, guetté
suffisamment pour avoir acquis une certitude.
– Où
est-il allé ?
– Il
a d’abord suivi le cardinal de Bourbon jusqu’en son hôtel qui est proche du
Louvre. Il faisait partie des gens qui l’accompagnaient et j’ai même vu, à certain
moment, le superbe cardinal se pencher vers le moine pour lui parler comme en
confidence. Mais celui-ci a dû seulement prendre, à l’hôtel de Bourbon, le
repas du milieu du jour. Je l’en ai vu ressortir et regagner la cathédrale pour
y chanter vêpres et complies... auxquelles j’ai assisté en bon chrétien.
Ensuite, Fray Ignacio s’est rendu dans un couvent assez voisin de Notre-Dame
que l’on m’a appris être celui des Jacobins. Et cette fois, il n’est pas
ressorti. Alors je suis rentré, un peu moulu, un peu las, mais dûment
sanctifié... Que dois-je faire à présent ?
– Gagner
votre lit au plus vite car vous l’avez bien mérité. Et je vous remercie,
Esteban, de vous être donné cette peine. Je crois qu’il faut, à présent,
abandonner le moine à son destin. Aussi bien, après-demain, je suivrai messire
de Commynes. Vous savez sans doute que le roi l’a envoyé me chercher ?
– En
effet. Quant à vous dire pourquoi, je n’en sais pas plus que vous. Mais ce ne
peut être que dans un but bienveillant si j’en juge l’accueil qu’il a réservé à
mon maître. Cependant je ne suis pas de votre avis en ce qui concerne fray
Ignacio. Demain, j’irai encore tournailler autour de ce couvent des Jacobins. J’arriverai
peut-être à apprendre quelque chose sur ce qu’il vient faire ici.
– Soyez
prudent, je vous en prie. Vous savez combien il est dangereux et il est
peut-être inutile d’attirer son attention sur nous, que ce soit moi ou votre
maître, puisqu’il nous hait autant l’un que l’autre...
– Faites-moi
confiance. Il ne soupçonnera même pas ma présence.
Esteban
avait son idée. Tôt le matin, vêtu d’une souquenille de toile et armé de deux
paniers que Péronnelle lui confia volontiers avec une liste de
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