Fiora et le Téméraire
s’avance
et qu’il serait peut-être temps de rentrer chacun chez soi en attendant une
occasion meilleure mais ils ne veulent pas quitter le camp les mains vides et
le roi Louis le sait bien.
– Que
demandent-ils pour s’en aller ?
– Disons
que leurs prétentions sont allées en décroissant : ils ont d’abord réclamé
la couronne de France...
– Ils
espéraient vraiment qu’on allait la leur offrir ? fit Agnolo en riant.
– Bien
sûr que non mais cela flattait leur vanité. Ensuite ils ont demandé qu’on leur
rende la Guyenne et la Normandie qui leur sont toujours chères...
– Mais
qui le sont encore plus à la France. Alors ?
– Alors ?
... (Commynes avala son bourgogne avec satisfaction et sourit largement à son
hôte.) Le roi pense en avoir raison sans trop de peine avec de l’or et des
présents... L’or, je suis chargé d’en retirer des caves de la Bastille mais je
dois voir aussi avec messieurs les échevins de Paris à quel prix ils estiment
leur tranquillité. Et il s’agit d’aller vite. Je repars après-demain...
– Pour
Compiègne ?
– Non,
pour Senlis où notre sire est revenu. Je dois rapporter l’or sous une escorte
que me donnera la ville...
Il se
tourna brusquement vers Fiora et ajouta aimablement :
– Ainsi
vous n’aurez rien à redouter des dangers de la route, madonna, car j’ai ordre
de vous ramener avec moi.
– Le
roi veut me voir ? Je pensais qu’il s’agissait seulement d’un message.
– C’est
un message, mais verbal. Nous quitterons Paris à l’aube dès l’ouverture des
portes. Tenez-vous prête ! A présent, ajouta-t-il en se levant, je dois
vous quitter, maître Nardi et vous, dame Agnelle, en vous rendant grâces pour
cet excellent repas car je dois rencontrer sans plus tarder messire d’Estouteville,
le chancelier Pierre Doriole et le gouverneur de la Bastille, messire Pierre
Lhuillier.
Et d’un
pas aussi leste que s’il n’eût absorbé qu’une aile de volaille et deux doigts
de clairet, le seigneur d’Argenton quitta la maison Nardi avec ses gens qui
avaient festoyé à la cuisine, en recommandant à Agnolo d’amener Fiora à la
porte Saint-Denis au petit jour du surlendemain. Songeuse, celle-ci monta voir
Léonarde pour la mettre au courant de ce qui arrivait. Agnelle la suivit.
– Que
peut bien me vouloir le roi Louis ? s’inquiéta Fiora en gravissant l’escalier.
J’aurais du parler de Léonarde à messire de Commynes et lui dire qu’il m’était
impossible de l’abandonner.
– Pourquoi
donc ? J’en prendrai grand soin, je vous assure, fit Agnelle en souriant.
Vous ne serez certainement pas longtemps absente. Et Senlis n’est pas si loin :
dix lieues, ce n’est rien. Enfin, un ordre du roi ne se discute pas.
Léonarde
en dit tout autant. Elle se sentait parfaitement bien chez les Nardi et prenait
son mal en patience :
– Quand
il n’y a rien d’autre à faire, c’est la sagesse, fit-elle, et puisque dame
Agnelle veut bien nous dire que je ne l’encombre pas trop, je vais attendre ici
ma guérison. Allez en paix, mon agneau, vous n’avez rien à craindre du roi
Louis.
– J’en
suis certaine, renchérit Agnelle. Quant à nous, si la menace anglaise s’éloigne,
nous pourrions gagner notre clos de Suresnes. Dame Léonarde y serait beaucoup
mieux installée pour poursuivre sa convalescence car la campagne y est belle et
nous avons sur la Seine une vue superbe.
Trop
émue pour répondre, Fiora embrassa la charmante femme et, négligeant
momentanément le roi Louis, tourna son esprit vers d’autres préoccupations :
Esteban n’était pas encore revenu.
Il
revint à la tombée de la nuit, peu avant le couvre-feu, avec la mine de quelqu’un
qui, ayant beaucoup couru, a très faim et très soif. La grande Péronnelle qui
veillait à la cuisine chez les Nardi se chargea de lui en dépit de l’heure
tardive, l’installa sur un coin de table et lui servit du pâté d’anguille, de
la tourte au pigeon, une large tranche de bœuf froid et quelques douceurs, le
tout arrosé d’un vin de Bourgueil de nature à réparer les forces les plus
amoindries. Le Castillan plaisait fort à la cuisinière à qui, avant de partir
pour Compiègne, il rendait maints bons offices tout en s’extasiant, avec une
gourmandise non dissimulée, sur les plats qu’il lui voyait accommoder. Ce
soir-là, Péronnelle était trop contente de pouvoir gâter Esteban à sa guise et
de l’avoir pour elle
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