Fiora et le Téméraire
pas, messire, dit Agnolo, et voici mon épouse, dame Agnelle.
Souffrez que je vous présente à elles : voici, chères dames, le conseiller
le plus écouté de notre sire le roi, messire Philippe de Commynes, seigneur d’Argenton
qui nous est venu voir tout exprès pour s’entretenir avec donna Fiora.
– A
moi ? Et de la part de qui, mon Dieu ?
– Mais...
du roi, madonna !
– En
vérité ? Qui suis-je pour qu’un aussi grand prince prenne souci de moi ?
Le
léger persiflage du ton n’échappa pas au seigneur d’Argenton. Son sourire s’accentua
tandis que ses paupières se plissaient légèrement :
– La
modestie est une vertu qui convient surtout aux laides. Avec une telle beauté,
madonna, c’est au moins du temps perdu et, au pire, de l’hypocrisie. Que notre
sire s’intéresse à vous n’a rien d’extraordinaire. D’autant qu’il a gardé le
meilleur souvenir de feu votre père. Mais peut-être pourrions-nous parler après
le repas ? Pardonnez-moi, madame, ajouta-t-il en se tournant vers Agnelle,
mais je meurs de faim. Je crois que je pourrais manger un cheval...
Le
rire de la jeune femme fusa comme un jet d’eau claire :
– Nous
n’en avons pas au menu, messire, mais je crois que notre repas, tout modeste qu’il
soit, saura satisfaire votre appétit. Holà, petites ! ajouta-t-elle en
frappant dans ses mains, que l’on apporte bassins et serviettes et que l’on
voie à nous servir promptement !
Comme
si elles n’avaient attendu que ce signal, trois jeunes servantes apparurent
portant des cuvettes pleines d’une eau parfumée dans lesquelles les convives
lavèrent leurs mains qu’ils essuyèrent à des serviettes fines avant de passer à
table. Puis, les servantes disparurent pour faire place à des valets portant
les pâtes, tourtes, et « chaircuiteries », très renommées car les
glands des chênes nourrissaient de nombreux porcs, qui constituaient le premier
service. Vinrent ensuite des poissons, carpes et saumons diversement
accommodés, puis des volailles, et un quartier de bœuf rôti accompagnés de
fenouil, de carottes, de choux et de raifort ; enfin les fromages, les
fruits, cerises et prunes, et quelques pâtisseries. Le tout arrosé des vins de
France et d’Italie car Agnolo possédait une cave bien fournie dont il n’était
pas peu fier. Il ne cessait de remplir le gobelet de son invité en lui
indiquant le cru et l’année que le sire de Commynes avalait avec un
enthousiasme flatteur, sans d’ailleurs perdre un coup de dents et sans cesser
de parler. Maître Nardi lui rendait raison bravement et les deux hommes
discutaient politique avec entrain sans trop se soucier des dames – ce qui ne
gênait pas Fiora très intéressée par ce qu’elle entendait, et pas davantage
dame Agnelle qui veillait avec vigilance au bon déroulement du festin.
Les
nouvelles étaient plutôt bonnes si l’on tenait compte des événements étranges
qui se passaient et de ce qui avait failli se passer surtout. Fiora apprit
ainsi qu’un certain connétable de Saint-Pol qui était en principe grand chef de
l’armée royale mais qui n’en était pas moins « bourguignon » bon
teint et vieil ami du Téméraire, avait une conduite fort étrange. Porteur de la
grande épée fleurdelisée qui lui donnait le pas sur les princes du sang et
marié d’ailleurs avec la belle-sœur de Louis XI, une princesse de Savoie, Louis
de Luxembourg, comte de Saint-Pol, n’en était pas moins allé à Péronne offrir
ses services au Téméraire et au roi anglais, et leur proposer d’ouvrir devant
eux sa ville de Saint-Quentin, mais avait fait tirer ses canons sur eux quand
ils se présentèrent devant les remparts de la cité... Étrange, non ?
– J’espère,
dit Agnolo, que notre sire ne se fonde pas trop sur la fidélité de ce seigneur ?
– Il
le connaît depuis si longtemps ! Saint-Pol, pour autant que j’en puisse
juger, ne sait plus à quel saint se vouer ni quel maître lui sera le plus
profitable. En attendant, le premier résultat de la canonnade a été le départ
de Monseigneur de Bourgogne qui, le lendemain même, plantait là son allié
anglais pour se retirer à Valenciennes. Ce que sachant, le roi n’a pas perdu
une minute pour entamer des pourparlers avec Edouard IV. Il sait bien que les
Anglais sont à court de vivres et que la défection de l’armée bourguignonne a
porté un coup fatal à leur moral. Certains d’entre eux pensent que la saison
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