Fleurs de Paris
service à des personnes en état de vous
récompenser…
– Je le sais, puisque j’y vais, dit La
Veuve. Malheureusement, la pauvre petite est obligée de se
cacher ; elle a dû quitter précipitamment la maison de la rue
Letort, en sorte qu’on la croit morte, et elle a tout intérêt à
passer pour morte… Excusez-moi donc, encore une fois, et adieu…
– Vous ne me quitterez pas ainsi, supplia
Lise. Je vous dis qu’il y va de grands intérêts…
– Voyons, vous me jurez que vous n’avez
pas de mauvaise intention ?… Bon, bon…, je vous crois !
Écoutez, réellement, je ne puis pas vous conduire prés de celle qui
a mis en moi toute sa confiance… mais je puis lui demander si elle
consent à vous voir…
– Et vous viendrez me le dire ce soir… et
dès demain je pourrai venir la voir… Oh ! c’est cela ! Je
suis bien sûre qu’elle en sera heureuse.
La Veuve tressaillit. Un nuage passa sur son
front.
– Ce soir elle aura quitté Paris,
dit-elle, pour toujours, elle l’espère.
– Que faire ? balbutia Lise. Il faut
pourtant que je la voie… il ne peut en résulter que du bonheur pour
elle, et pour d’autres.
– Voici ce que vous pouvez faire :
suivez-moi à distance. Si vous changez de résolution en route, vous
prendrez à gauche ou à droite sans que je m’en aperçoive, et tout
sera dit… Mais si vous me suivez jusqu’au bout, vous vous arrêterez
à quelques pas de la maison où j’entrerai. Si Mlle Marie
consent à vous voir, je vous ferai signe par la fenêtre, et vous
entrerez…
Ayant ainsi parlé avec son accent de morne et
glaciale indifférence, La Veuve se remit en route sans attendre la
réponse de Lise.
Lise la laissa gagner dix pas, puis elle se
mit à marcher sans la perdre de vue. Son cœur battait sourdement,
et, sans qu’elle s’en rendît bien compte, une espèce de terreur
vague la gagnait peu à peu.
Lise continua à suivre la silhouette noire
qui, maintenant, montait les rampes de Montmartre, puis contournait
les clôtures du Sacré-Cœur, puis enfin, descendait une ruelle
escarpée… Tout à coup, La Veuve tourna à gauche, dans un étrange
chemin qui porte le nom de la rue Saint-Vincent.
En arrivant au coin de ce chemin, Lise revit
La Veuve qui marchait toujours de son pas égal, lent, indifférent.
La jeune fille, quelques secondes, s’arrêta. Là, il n’y avait plus
personne ! À gauche, un gros mur, soutenu de place en place
par des contreforts, formait la terrasse, de terrains vagues ou de
jardins incultes. Le long de ce mur s’ouvraient deux ou trois
portes en mauvais état permettant de pénétrer dans les caves de
deux ou trois bicoques dont l’unique étage, surplombant la rue,
devenait rez-de-chaussée du côté de la terrasse. Lise vit La Veuve
disparaître par l’une de ces portes…
Alors, surmontant cette terreur qui s’était
emparée d’elle, elle s’avança jusqu’à quelques pas de cette
porte.
– Rien ne m’oblige à entrer,
murmura-t-elle en jetant aux environs un regard chargé de soupçons.
J’ai peur…Pourquoi aurais-je peur ?… N’est-il pas naturel que
Mlle Marie Charmant, qui se cache, ait choisi une pareille
solitude ?… Et pourtant… Mais si je veux, je n’entrerai
pas.
Et elle leva les yeux vers l’une des deux
fenêtres aux volets disjoints qui s’ouvraient à quelques pieds
au-dessus du chemin… Elle s’attendait à voir paraître la silhouette
noire… et il est sûr qu’alors elle se fût sauvée, même si on lui
avait fait signe d’entrer !
Mais La Veuve ne parut pas !…
Quelques minutes s’écoulèrent… Lise, peu à
peu, se rapprocha de la porte ouverte… elle passa devant.… elle vit
un escalier qui montait au terrain d’en haut…
De nouveau, elle regarda les croisées.… mais
elles demeurèrent closes.
Alors, la terreur s’évanouit de l’esprit de
Lise pour faire place à une inquiétude plus précise… Elle imagina
que La Veuve parlait à Marie Charmant, lui racontait sa rencontre,
et que la bouquetière, pour des raisons qu’elle ne pouvait évaluer,
refusait de la voir… Insensiblement, Lise se rapprocha de nouveau
de la porte ; elle hésita quelques instants encore, puis, tout
à coup, elle entra en murmurant :
– Coûte que coûte, il faut que je la
voie… que je lui dise…
Dans le même instant, la porte se referma
derrière elle. Lise se sentit saisie par derrière, et poussée non
dans l’escalier qui montait au jardin d’en
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