Fleurs de Paris
une quarantaine de maisons. Le
temps s’écoulait, mais elle ne se décourageait pas.
Il serait bien étonnant, songeait-elle, que je
ne finisse pas par tomber sur une voisine qui la connaît et qui
m’indiquera la maison ; au pis aller, j’irai ainsi jusqu’au
bout de la rue.
Tout à coup, vers le milieu de la rue, elle
vit sortir une femme d’une maison, et s’arrêta court sur le
trottoir, pâle de terreur. Machinalement, elle leva les yeux sur la
maison et
elle la reconnut
. Ce devait être cette maison et
pas une autre.
Pourquoi ? Parce que cette femme venait
d’en sortir… et cette femme, c’était La Veuve.
– Elle ne m’a pas vue ! songea Lise.
Et puis, quand même elle me verrait ? En plein jour, avec tout
ce monde, qu’ai-je à craindre ? N’est-ce pas elle plutôt qui
pourrait redouter que je ne la dénonce ? Pauvre femme !…
Pourquoi la dénoncerais-je ? Qui sait ce qu’elle a pu
souffrir !… Et puis, elle n’était que l’instrument d’une
autre… d’Adeline !
Elle tressaillit… Adeline !… sa
sœur !… La fille de Louis de Damart ! Oh ! il
fallait se hâter pour la délivrer… quoi qu’il pût en advenir…
Elle traversa rapidement la chaussée et entra
dans la maison d’où elle avait vu sortir La Veuve.
À peine eut-elle disparu dans le couloir que
La Veuve revint sur ses pas…
Elle avait vu Lise !…
Le visage de La Veuve ne témoigna ni
étonnement, ni joie, ni un sentiment quelconque. Seulement, il y
eut dans ses yeux une rapide flambée. Et comme elle se rapprochait
de l’entrée, avec des mouvements obliques et glissants, si l’un des
nombreux passants qui circulaient sur les trottoirs l’eût examinée
dans cette minute, il eût été épouvanté de cette allure d’araignée
guettant la mouche qui va se prendre… Mais chacun allait à ses
affaires, nul ne s’inquiétait des allures de La Veuve.
La Veuve, penchée à l’entrée du couloir,
écoutait ce qui se disait dans la loge de Mme Bamboche.
– Une bouquetière ? Mlle Marie
Charmant ? faisait la voix de la concierge. Pour sûr qu’elle
reste ici. Ou plutôt qu’elle y restait. Il y a qu’un beau jour la
pauvre petite n’est pas rentrée.
La Veuve n’en écouta pas davantage. Elle se
retira en souriant comme elle pouvait sourire.
– Je la tiens ! songeait-elle.
Lorsque Lise sortit de la maison, elle
tremblait légèrement. Elle était abattue par la disparition de
Marie Charmant comme par une catastrophe personnelle. Dans sa
situation actuelle vis-à-vis du baron d’Anguerrand, elle n’aurait
rien pu imaginer de plus poignant…
Elle s’en allait donc désespérée, osant à
peine envisager la nécessité où elle allait se trouver de raconter
ce qu’elle venait d’apprendre au père de Valentine, lorsqu’elle se
sentit touchée au bras. Elle leva la tête et se vit en présence de
La Veuve…
– Vous ! balbutia-t-elle, reprise
d’épouvante. Que me voulez-vous ?…
– Vous demander pardon, dit La Veuve. Je
vous ai fait souffrir. Vous devez m’en vouloir beaucoup…
– Soyez assurée du contraire, dit Lise en
frissonnant. Plus je vous regarde, plus il me semble que vous êtes
à plaindre plutôt qu’à haïr…
– Vous me plaignez donc ? fit
sourdement La Veuve.
– De tout mon cœur, dit Lise.
– Pourtant, j’avais une excuse, reprit La
Veuve, comme si elle n’eût pas entendu la réponse de Lise. Je vous
ai fait du mal, c’est vrai, mais je n’étais pas libre de ne pas
vous en faire… Ce temps est passé…
– Oui, oui, bien passé, pauvre femme, dit
Lise, et quant à ce qui me concerne, ne craignez rien de moi.
– Craindre ? fit La Veuve d’un ton
de surprise. Que pourrais-je craindre ? Il y a longtemps que
je ne puis plus rien craindre… Adieu, mademoiselle. Je vous
remercie de me pardonner ce que je ne me suis pas pardonné, moi,
puisque, pour réparer le mal que je vous ai fait, je m’impose de
sauver une pauvre créature comme vous… Au fait vous la connaissez…
c’est la petite bouquetière qui est venue vous voir dans le
galetas… Adieu, et excusez-moi de vous quitter si vite.
La Veuve fit un signe de tête et s’éloigna
rapidement.
En quelques pas, Lise, bouleversée d’émotion,
l’eut rejointe et murmura ardemment :
– C’est bien de Mlle Marie Charmant
que vous venez de parler ? Sauriez-vous où elle se
trouve ? Si vous le savez, de grâce, dites-le-moi, et vous
aurez rendu un grand
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