Fleurs de Paris
ensommeillée de
l’arrière-boutique, la digne femme prit Lise par le bras et
l’entraîna.
En cette circonstance, Lise put se féliciter
de l’insistance de la fruitière qui, solide gaillarde, parvint à
traîner le malade jusque dans la chambre voisine et à le hisser sur
un lit.
Le médecin arriva bientôt, et aidé de
l’infirmière volontaire, pratiqua la saignée, donna quelques soins,
affirma que tout danger d’apoplexie était heureusement conjuré, et
se retira enfin en disant qu’il reviendrait vers dix heures du
matin.
– Madame, dit alors Lise à la fruitière,
je ne sais comment vous remercier.
– Laissez donc… je suis assez remerciée…
mais tout de même, si je n’avais pas été là, hein ? il
tournait de l’œil, votre père… votre parent… votre ami…
Mon ami, oui, un bien bon ami, dit Lise,
maintenant toute secouée de sanglots.
– Je m’en doutais, triompha
in
petto
la fruitière, qui donnait au mot
ami
un tout
autre sens que Lise.
– Eh bien ! dit Lise, après une
hésitation, puisque vous êtes assez bonne pour vous intéresser à
nous, je voudrais… j’aurais besoin… de m’absenter une heure… Si
vous pouviez… vous ou quelqu’un…
– Compris ! Vous remplacer pendant
ce temps-là au chevet de votre ami… Soyez tranquille, il aura ses
potions, le cher homme ! Vous pouvez partir tranquille. Le
temps d’aller jeter un coup d’œil à la boutique et je reviens
m’installer ici dans deux minutes.
Les deux minutes de la fruitière furent
composées chacune de soixante minutes.
Lorsque la bonne fruitière, qui s’était si
spontanément offerte comme garde-malade entra enfin dans le
pavillon, il était prés de neuf heures.
– Dans une heure au plus, je serai de
retour, dit Lise. Si le médecin revenait avant moi, priez-le de
m’attendre, car j’aurai une grave question à lui poser avant
d’apporter au malade une… nouvelle qui, sans doute, est heureuse,
mais qui peut être émouvante.
Ces paroles mirent la fruitière sur les
épines. Elle eût donné beaucoup pour savoir ce que devait être
cette nouvelle, et quelle démarche allait tenter la jolie
inconnue.
– Décidément, songea-t-elle, c’est un
drame épatant !
Lise jeta un dernier regard sur le baron qui
semblait être tombé dans un sommeil profond, et elle sortit. La
fruitière s’installa, c’est-à-dire qu’elle commença par visiter le
pavillon de fond en comble. L’heure s’écoula… Lise ne revenait pas.
Puis ce fut le médecin qui vint et qui, selon le désir de sa
cliente, attendit, après avoir constaté que l’alerte était passée
et que deux jours de repos remettraient sur pied le malade… Puis,
le médecin, las d’attendre, s’en alla en recommandant que, sous
aucun prétexte, on n’éveillât le malade.
Il reviendrait sur le soir… Vers midi, le
malade dormait encore, et d’un sommeil de plus en plus
paisible : la saignée, la simple et vulgaire saignée, saignée
qui l’avait sauvé. La fruitière était dans la jubilation la plus
parfaite : la petite dame ne revenait pas !
– Elle ne revient pas, se disait-elle en
guettant le réveil du malade ; elle ne reviendra pas ;
j’en mettrais ma tête à couper… Tant pis pour la boutique, il faut
que j’en aie le cœur net… Mais pour moi, c’est aussi sûr que trois
et trois font dix-sept ; elle a filé avec le jeune qui
l’attendait par là quelque part, et elle a planté là le vieux…
C’est dégoûtant, ma parole !… Il a l’air très bien, ce vieux,
et pas si déjeté que ça… Je donnerais bien quatre sous de réglisse
pour voir le jeune !
Chapitre 41 LA RUE SAINT-VINCENT
Lise, la fille de Jeanne Mareil, s’était mise
en route, poussée par cette pensée : aller chercher Marie
Charmant et la ramener au baron d’Anguerrand.
Dehors, Lise nota le numéro du pavillon, puis
le nom de la rue. En effet, elle ignorait entièrement ce quartier.
Quant à trouver la rue où elle avait été prisonnière de La Veuve,
c’était facile, bien qu’elle y eût été amenée de nuit par Jean Nib
et qu’elle en fût sortie la nuit aussi, lorsqu’elle avait suivi
Adeline. Dans le courant des entretiens qu’elle avait eus avec
Marie Charmant, elle avait appris que cette rue s’appelait la rue
Letort. Le premier gardien de la paix qu’elle rencontra lui indiqua
le plus court chemin pour s’y rendre.
Lise, sans plus tarder, avait commencé son
enquête. Elle avait visité déjà
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