Fleurs de Paris
garçon, pâle comme la mort, s’assit. Le
patron Zidore eut le soupir d’angoisse du condamné qu’on amène au
pied de l’échafaud. Mais, derrière son comptoir, il s’occupa
activement à laver les verres, comme s’il n’eût rien vu, rien
entendu. Biribi fit un signe à l’un des escarpes. Et cet homme, se
levant aussitôt, alla s’adosser à la porte du fond… Dans
l’assemblée, il y avait eu un frémissement : quelques paroles
rapides s’étaient échangées.
– Ça va barder…
– J’aime mieux être dans ma peau que dans
celle de Zidore…
Mais presque aussitôt, ces têtes blafardes,
estompées et vaguement dessinées dans le nuage de fumée, reprirent
leur physionomie d’indifférence. Seulement, les traits s’étaient
tendus ; au coin des prunelles flambaient de petits
étincellements rouges, et les narines reniflaient la proche odeur
du sang…
– Et comme ça, reprit Biribi avec un
ricanement qui découvrit ses dents de loup-cervier, quoi qu’il y a
de neuf dans Lantinpuche, les aminches ?
– Ça boulotte toujours à peu près, dit
une femme.
– À part que la rousse est plus vache que
jamais, ajouta une autre.
Les hommes se taisaient…
– À preuve, reprit une troisième, que
c’te pauv’ Flora et la Brune au Costaud de la Villette, et puis
aussi Margot la Banhan, et des tas d’autres sont entoilées à
Saint-Lago (Saint-Lazare).
– Bah ! elles vont se faire du
lard ! ricana Biribi.
– Oui, mais quoi que vont devenir leurs
hommes ? dit une fille aux traits pâles et fins.
– Et toi, Biribi, d’où que tu sors, à
c’t’heure ? reprit une autre.
– T’es tout pâlot…
– Qu’on dirait qu’t’as pus de sang dans
les veines, pauv’ chéri…
– Assez jaspiné, les femelles, dit Biribi
de sa voix effroyablement paisible. Ohé, les aminches, qui c’est
qui pourrait me dire ce qu’est devenu Jean Nib ? J’ai deux
mots à lui dire.
– Jean Nib ?… On ne l’a pas revu,
même qu’on le croyait entoilé avec toi…
– Et Rose-de-Corail ? gronda
Biribi.
Les escarpes se regardèrent. Ils entrevoyaient
quelque terrible aventure. Rose-de-Corail,
arrêtée
par eux
dans ce même cabaret, avait été conduite à la Pointe-aux-Lilas et
livrée à Biribi, chargée de l’exécuter.
– Où est Jean Nib, Rose-de-Corail doit
être, dit enfin l’un d’eux.
Biribi baissa la tête ; un soupir pareil
à un rugissement ronfla dans sa vaste poitrine.
– C’est vrai ! dit-il, pensif.
– Est-ce que t’en pinces pour elle, à
c’t’heure ? dit narquoisement la fille aux traits
délicats.
– Oui, dit Biribi en la regardant en
face.
– Alors, interrogea l’un des escarpes,
quoi qu’y a eu, à la Pointe-aux-Lilas ?
– Minute ! dit Biribi qui
tressaillit, ramené à la situation présente. Où es La Veuve ?
Encore une que je ne peux pas lui mettre le grappin dessus, bien
que ça soit pas pour les mêmes motifs.
– La Veuve ?… J’y ai porté un
baluchon, voilà huit jours. Elle m’a répondu qu’elle fermait
boutique et qu’elle se retirait à la campagne. Y a plus à compter
sur elle.
– Bah ! c’est pas les recéleurs qui
manquent… À la campagne, qu’elle a dit ?… Bon ! réfléchit
Biribi, je sais maintenant où la trouver…
Les parties de cartes recommencèrent tout à
coup ou eurent l’air de recommencer : au loin, dans la nuit,
venait de retentir le coup de sifflet d’une des sentinelles. Ce
coup de sifflet, Zidore l’écouta avec le ravissement de joie
furieuse du condamné qui entrevoit la possibilité d’une
délivrance.
– On verra bien ! gronda Biribi en
écoutant.
Au bout d’un instant, un deuxième coup de
sifflet déchira la nuit. Zidore devint livide et étouffa un
gémissement. Biribi soupira, soulagé. Les cartes furent abandonnées
les têtes se tournèrent vers Biribi, empreintes d’une sauvage
curiosité : le premier coup de sifflet signifiait :
« Attention ! on vient !… » Le deuxième voulait
dire : « N’ayez pas peur : ce n’est pas la
rousse !… »
– D’où que je sors ? reprit alors
Biribi. Je sors de tirer vingt-trois jours d’hôpital, voilà tout.
De quoi attraper vingt-trois fois la crève ! Mais ça ne fait
rien, on a encore du biceps et du sang dans les veines.
« Maintenant, les aminches, quant à celui
qui m’a décousu la peau, c’est une affaire entre lui et moi. Jean
Nib ne la portera pas en Paradis,
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