Fleurs de Paris
mes enfants se retrouvent, j’ai le ferme espoir qu’ils
respecteront ma volonté. S’ils ne se retrouvent pas, je constitue
moi-même ce legs, que vous trouverez étiqueté à part dans mes
papiers. Ce legs devra être délivré à ladite Jeanne Mareil un an
après ma mort. Si mes enfants se retrouvaient dans l’intervalle de
cette année et qu’ils s’opposent à l’exécution de ma volonté en ce
qui concerne Jeanne Mareil, vous vendriez alors mon château de
Prospoder, qui m’appartient en toute propriété personnelle et dont
la valeur atteint à peu près cette somme. Cette vente au profit de
Jeanne Mareil. À charge pour elle de constituer une dot de quatre
cent mille francs en faveur de la demoiselle Lise Frémont, enfant
trouvée, inscrite sur les registres des Ponts-de-Cé, sous le nom de
Lise. »
Hubert data et signa cette lettre destinée à
son notaire et la plaça dans une enveloppe où il glissa le pli
cacheté à l’adresse de Jeanne Mareil.
Quant à la lettre même destinée à celle qui
s’appelait maintenant La Veuve, en voici la teneur :
« Je vous ai vue, Jeanne. Quelques
secondes à peine, vous m’êtes apparue l’autre soir, dans ce taudis
où j’ai été séquestré. Tout de suite, je vous ai reconnue, comme
vous, vous m’avez reconnu. Que faites-vous ? Quelle existence
est la vôtre ? Je l’ignore. Mais dans vos regards, dans vos
éclats de rire, j’ai reconnu la haine. Après tant d’années, vous
n’avez pas pardonné. C’est votre droit, et je ne m’en plains
pas.
« Jeanne !… voici l’heure où vous
allez enfin pardonner… peut-être. J’espère, je crois que
l’apaisement va se faire en vous. Je ne vous parlerai donc ni de
moi, ni de ce que j’ai souffert, ni de cet amour dont le souvenir
seul fait encore trembler la main qui vous écrit. Ce n’est pas pour
moi, pour libérer mon esprit de l’obsession du remords que je vous
écris. C’est seulement pour libérer votre esprit, à vous. C’est
pour vous donner une joie après tout le mal que je vous ai fait. Si
vous êtes la Jeanne que j’ai connue, si vous avez l’âme que votre
attitude passée suppose, la joie que je vous apporte est au-dessus
de tous vos malheurs.
« Jeanne, votre fille est vivante. Je
l’ai vue. Je lui ai parlé.
« Cette fille, vous devez la croire
morte, puisque vous ne l’avez jamais revue depuis le jour où vous
avez fui Segré après m’avoir si terriblement frappé. Peut-être, ce
jour-là, votre vengeance dépassa-t-elle les droits de votre
douleur.
« Demandez-vous, Jeanne, si vous n’avez
pas été punie à votre tour par la perte de votre enfant.
Demandez-vous si vous ne devez pas oublier mon crime, puisque c’est
moi, moi ! et non un autre, moi qui vous rends votre
enfant !
« Je suis sûr que vous l’avez pleurée,
que vous la pleurez encore. Je suis sûr que vous donneriez votre
vie pour savoir qu’elle vit et que loin de vous elle n’a pas
souffert.
« Eh bien ! c’est tout cela que je
viens vous dire, moi, Hubert d’Anguerrand !
« Votre fille, Jeanne, a été trouvée près
des Ponts-de-Cé par des fermiers du nom de Frémont. Ces braves gens
l’ont recueillie, adoptée pour leur enfant, élevée, aimée. Son
enfance et sa jeunesse ont été aussi heureuses que vous pouviez le
souhaiter en de pareilles circonstances.
« J’ai vu votre enfant. C’est une belle
jeune fille, un noble cœur, une radieuse intelligence.
« Elle porte le nom de Lise Frémont, ou,
pour mieux dire, Lise simplement.
« Comment je sais que Lise est votre
fille ?
« Par elle-même, qui m’a raconté son
enfance. Les particularités qu’elle m’a exposées sont si précises
que le doute est impossible.
« Quant aux circonstances qui ont mis en
présence la fille de Jeanne Mareil et Hubert d’Anguerrand, elles
importent peu. Sachez seulement que ces circonstances sont telles
que si j’avais jamais douté de la puissance et de la bonté divines,
je serais aujourd’hui obligé de les reconnaître en m’humiliant.
« Maintenant, je suis forcé de vous dire
que votre fille m’a quitté, et que j’ignore ce qu’elle est devenue.
Qu’elle m’ait quitté après la longue conversation que j’ai eue avec
elle, cela ne m’étonne pas car Hubert d’Anguerrand devait
naturellement inspirer de l’horreur à l’enfant de Jeanne Mareil et
de Louis de Damart. Mais je suis sûr qu’elle reviendra. J’ai pu
apprécier son cœur adorable… Je
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