Fleurs de Paris
adoptée, est
devenue l’ange de ce foyer désert, la passion, la joie, la gloire
de Frémont.
Puis, un immense chagrin : la mort du
métayer.
Puis le départ à Paris : maman Madeleine
a réalisé ses économies, une soixantaine de mille francs… et adieu
aux Ponts-de-Cé où elle est née, où elle a vécu sa longue vie, où
dorment son homme et ses anciens : tout plutôt que de voir une
larme de honte dans les chers yeux de la petite !
Puis l’installation modeste et coquette, et
ces deux années qui viennent de s’écouler en ce quartier de Paris
où personne ne songe à lui reprocher de n’avoir pas de nom, où tout
le voisinage s’est mis à raffoler d’elle, si gentille, si avenante
et gracieuse, si Parisienne d’instinct.
Puis, le grand événement… la minute décisive,
inoubliable, où son cœur est né à l’amour.
Voici : un soir de février dernier, comme
Lise et madame Madeleine rentraient d’une promenade aux Invalides,
là, tout à coup, dans leur rue, presque en face de chez elles,
devant la porte d’un vieil hôtel, un drame du pavé parisien :
sous leurs yeux, un éclair dans l’ombre, un coup de
revolver !… et un homme qui tombe en travers du trottoir, la
poitrine sanglante, serrant encore dans sa main crispée l’arme avec
laquelle il a voulu se tuer…
Lise, bravement, s’est penchée, a soutenu de
ses deux mains cette tête pâle, si jeune, si belle…
Alors, une seconde, les paupières de l’inconnu
se sont ouvertes, et ses yeux, ses beaux yeux bruns d’une si
magnifique douceur, l’ont fixée… Lise a tressailli : son cœur
s’est mis à battre de pitié… car quel autre sentiment que la pitié,
une pitié infinie, a pu la bouleverser ainsi au point de la faire
presque défaillir, quel autre sentiment que la pitié a voilé de
larmes l’aurore bleue de son regard, et lui arrache ce cri
frémissant :
– Il faut le sauver ! Oh !
maman Madeleine, sauvons-le !
Comment Mme Frémont a-t-elle pu
céder ? Comment le blessé a-t-il été transporté dans la maison
avant même que des agents soient intervenus ? Comment s’est-il
trouvé installé à leur troisième, dans la grande
chambre ?…
Et après, pendant la longue bataille contre la
mort, que s’est-il passé dans l’âme de Lise ?…
Elle ne sait plus. Plus rien qu’une
chose : c’est qu’au bout d’un mois, lorsque le docteur a
déclaré que le danger est parti, elle s’est jetée dans les bras de
la bonne vieille, et longtemps a pleuré des larmes délicieuses.
Alors, la convalescence… l’inconnu se révèle…
elles savent son nom, son histoire… et d’ailleurs, grâce à un
hasard qu’il explique très naturellement par sa volonté de mourir,
il possède tous ses papiers : acte de naissance, certificats,
livret militaire, actes de décès de son père et de sa mère…
En termes touchants, de sa parole chaude,
caressante, débordante de reconnaissance, mille fois il redit les
causes de son désespoir : la brillante éducation qui l’a
déclassé, car ses parents sont morts pauvres après d’être saignés
pour payer ses études ; l’impossibilité, au sortir du
régiment, de trouver une situation digne de lui ; la certitude
de végéter ; et enfin, après les dernières et inutiles
démarches, le découragement suprême, la peur de la vie.
Ah ! s’il avait seulement un peu
d’argent… si peu… rien que cinquante mille francs… il rebondirait,
ferait fortune en quelques années… – car il connaît à fond la
banque, et donne à maman Madeleine des conseils d’une évidente
sagesse pour ses économies qu’elle n’a su encore comment placer… –
oui, avec cette faible somme, avec ce pauvre levier, il soulèverait
la rude pierre de misère sous laquelle il étouffe… sous laquelle il
succombera !…
Et un matin d’avril, Georges Meyranes, d’une
voix tremblante, a fait ses adieux… Il va partir… loin… en
Amérique, peut-être… jamais, oh ! jamais, il n’oubliera l’ange
qui s’est penché sur lui…
Lise n’a rien dit… Seulement, elle pâli, ses
sourcils se sont contractés, son sein a palpité, sa main glacée a
saisi convulsivement une main de maman Madeleine ; elle l’a
entraînée dans sa chambre, et là, dans la détresse de son pauvre
petit cœur qui n’est plus à elle, a murmuré :
– Mère, votre enfant va mourir… S’il
part, je meurs !…
Et il n’est pas parti !…
Oh ! la ravissante, l’ineffable
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