Fleurs de Paris
tombe aujourd’hui
ce bonheur.
Jean Nib hochait la tête. Il semblait
désespéré.
Ségalens le considérait avec surprise.
– Quoi ? fit-il. Est-ce que la force
de supporter la bonne fortune vous manque ? Je vous ai vu plus
gai et même radieux à une époque où la vie devait pourtant vous
apparaître bien sombre.
Jean Nib redressa la tête, étendit la main
vers la chambre où les papiers venaient d’être enfermés.
– Tenez, monsieur Ségalens, dit-il. Il y
a là quatre millions qui sont à moi. C’est ce qu’on peut appeler
une somme. Quant à moi, à cette époque dont vous me parliez, je
n’arrivais même pas à me figurer réellement qu’un seul homme pût
posséder tant d’argent à la fois. C’est vous dire que je comprends,
que j’estime à sa juste valeur l’immense quantité de jouissances
que représentent ces mots quatre millions. Eh bien ! ces
quatre millions, je les donnerais pour un renseignement, un indice…
Jean Nib étouffa un sanglot.
– Lorsque vous m’avez vu radieux dans ma
misère, reprit-il, c’est que j’avais près de moi celle que
j’aime…
Oh ! je n’ai jamais compris comme en ce
moment à quel point nous nous aimions, et combien vraiment nous
étions tout l’un pour l’autre, puisque, d’avoir retrouvé à la fois
mon père, ma famille, une fortune, tout ce qui fait la vie, cela ne
me console pas de l’avoir perdue, elle !
– Rose-de-Corail ? dit Ségalens très
ému. Est-ce que votre amie serait, morte ?…
– Le sais-je ?… Morte ?
Vivante ?… Elle est perdue pour moi. Et qui sait s’il ne
vaudrait pas mieux la savoir morte que de la savoir aux mains de La
Veuve et de Biribi !
– La Veuve ! Biribi ! exclama
sourdement Ségalens. Et vous croyez ?…
– Que ce sont ces deux misérables qui se
sont emparés de Rose-de-Corail. J’en suis sûr !
– Eh bien ! en ce cas, dit Ségalens,
espérez !
– Que voulez-vous dire ? murmura
Jean Nib en bondissant.
– Calmez-vous. J’ai… je crois avoir un
indice sérieux…
– Parlez ! oh ! parlez, je vous
en conjure ! Moi aussi après des journées et des nuits de
recherches, j’ai cru trouver un indice… rue Saint-Vincent… et c’est
là que, cette nuit, je vais tenter une expédition… Est-ce que vos
indices concordent avec les miens ?…
– Tout à l’heure, dit Ségalens, je vous
raconterai tout ce que je sais. Mais d’abord mettez-moi au
courant…
– Soit, dit Jean Nib. Je reprends donc
les choses au moment où vous m’avez prié de venir m’installer dans
la villa Pontaives, qui, pensiez-vous, devait être attaquée…
Alors, à la stupéfaction de Ségalens, Jean Nib
raconta dans tous ses détails, la bataille qui avait eu lieu dans
la villa Pontaives, et comment, à demi mort déjà, il avait été
précipité à la Seine par Biribi et ses acolytes, et comment Pierre
Gildas l’avait sauvé.
Ségalens avait écouté ce récit avec une
poignante attention d’angoisse et d’horreur.
– Ainsi, dit-il, ce comte de Pierfort
n’était autre que votre frère, Gérard d’Anguerrand ?
– Oui, dit Jean Nib. Mon propre frère qui
a failli m’assassiner. Mais tout cela est passé. Lorsque je me
retrouverai en présence de Gérard, je lui tendrai la main en lui
disant : « Frère, oublions !… »
– Bien ! fit Ségalens. Mais votre
amie, Rose-de-Corail, vous l’avez donc perdue de vue depuis le
moment où vous êtes entré chez Pontaives ?
– Non… je vais vous expliquer…
Rose-de-Corail et moi, voyez-vous, on ne s’était jamais séparés. Je
vous dis que nous ne pouvions pas vivre l’un sans l’autre… Alors,
dès le soir même du jour où je suis venu, je l’ai introduite dans
la villa et l’ai installée dans les combles où il était convenu
qu’aucun des domestiques ni des habitants de la maison ne monterait
jamais…
– Je comprends maintenant. Rose-de-Corail
a dû être enlevée au cours de cette affreuse bataille que vous
m’avez racontée…
– Après. C’est lorsqu’ils ont cru que
j’étais mort, que Biribi et La Veuve ont transporté Rose-de-Corail
dans une voiture… Depuis, je n’en ai pas de nouvelles… Mais, ce
n’est pas tout : Rose-de-Corail n’était pas seule. Avec elle,
les misérables ont enlevé un pauvre gosse venu pour me prévenir…
Zizi.
– Zizi ? Mais je le connais,
Zizi ! Il habitait la même maison que moi, rue Letort.
– La maison de La Veuve, c’est bien
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