Fleurs de Paris
s’écria :
– Comme te voilà fait, mon pauvre
Zizi ! Tu ne seras donc jamais sérieux ?… Et ta pauvre
sœur qui est venue te chercher ! et qui voudrait
t’emmener ! et qui a tant pleuré quand je lui ai dit qu’on
n’avait pas de tes nouvelles !
Zizi fit la grimace. Un nuage passa sur ce
front de voyou qui ne semblait pas fait pour les réflexions
pénibles. Le souvenir de sa sœur Magali et de ce qu’elle était
devenue réveillait en lui ce qu’il pouvait y avoir encore
d’instincts de droiture et d’honnêteté dans son cœur.
– S’agit pas d’ça, mère Bamboche… fit-il
en essayant d’arrêter les exclamations de la digne femme.
– Et de quoi qu’il s’agit, galopin ?
T’as pas honte, à ton âge, de…
– Mère Bamboche, cria Zizi, s’agit de la
vie ou de la mort de Mlle Marie !…
– Qu’est-ce que tu me dis là ? fit
la concierge toute pâle. Tu l’as donc retrouvée. Alors, je ne vois
qu’un homme qui puisse la sauver, c’est le journalisse…
– M. Ségalens ?…
– Oui, c’est ça. Est-il
revenu ?…
– M. Ségalens ne demeure plus dans
la maison ; c’est-à-dire, il a gardé son logement… mais il
habite en réalité 55, faubourg Saint-Honoré… Ici, maintenant, ce
n’est plus qu’une adresse pour lui, tu comprends ?… Et alors…
explique-moi donc !…
Mais déjà Zizi s’était élancé hors de la loge
et se mettait à courir dans la rue.
Chapitre 71 UN BON REPORTAGE
Mme Bamboche avait dit la vérité :
Anatole Ségalens demeurait maintenant 55, faubourg Saint-Honoré,
dans un de ces vieux hôtels de l’aristocratie déchue, qui, rachetés
par des propriétaires sagaces, ont été transformés en maisons de
rapport.
Ségalens avait loué un appartement au
troisième, qui était le dernier étage et qui, jadis, avait
constitué les combles de l’hôtel. Il avait à sa disposition quatre
grandes belles pièces, dont deux étaient complètement vides de tout
meuble. Une troisième contenait son lit, ses livres et une table de
toilette. Fidèle à ses principes, Ségalens avait porté tout son
effort sur une pièce unique : celle où il recevait, quand, par
hasard, il lui survenait une visite.
Un après-midi, Ségalens se trouvait dans son
bel appartement de la rue Saint-Honoré, il se promenait lentement
dans sa chambre à coucher, c’est-à-dire dans la pièce qui contenait
un petit lit de fer. Le soir arrivait. Il songeait tristement que
l’heure du dîner allait venir, qu’il lui faudrait recommencer les
mêmes opérations, s’asseoir sans avoir faim à la table de quelque
restaurant, puis subir la corvée de la vie parisienne où qui veut
vivre est tenu de se montrer ; il songeait avec terreur qu’il
y avait justement une première ce soir-là, et qu’il était de toute
nécessité qu’il y parût.
Il s’habilla avec le soin infini qu’il mettait
à cette importante opération.
Au moment où il se préparait à sortir, la
sonnette de l’antichambre retentit.
– Bon !… je parie que c’est
Champenois qui m’envoie chercher. Dire qu’il n’y a même pas moyen
de souffrir à son aise quand on n’a pas le sou !…
Il courut cependant à l’antichambre, ouvrit,
et se trouva en présence d’un gentleman dont, dans l’obscurité
croissante, il ne distingua pas le visage.
– Monsieur Ségalens… fit l’inconnu.
– C’est moi, monsieur. Veuillez
entrer.
Ségalens se dirigea vers son salon où le
nouveau venu le suivit. Là, le reporter se retourna et demeura
stupéfait.
– Jean Nib !…
– Non, Edmond d’Anguerrand. Mais peu
importe le nom. J’ai à vous parler. Sommes-nous seuls ?
–Soyez sans crainte.
Jean Nib déposa sur le tapis un paquet assez
volumineux qu’il portait sous le bras, et prit place dans le
fauteuil que lui indiquait Ségalens.
Celui-ci ne revenait pas de l’étonnement que
lui causait la transformation de l’escarpe.
– Ça vous épate ? dit gravement Jean
Nib.
– Ma foi, oui. Vous portez admirablement
la toilette, d’ailleurs.
– Bon ! Tout à l’heure, vous serez
bien plus épaté. Mais, avant tout, comme je dois faire cette nuit
une expédition où je puis laisser ma peau, je vous prierai de
mettre en lieu sûr ces papiers et ces fafiots…
Très simplement, Jean Nib sortit de sa poche
une liasse de billets de banque et un portefeuille.
Ségalens, au comble de la stupéfaction, prit
machinalement le tout.
– Ouvrez le portefeuille,
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