Fleurs de Paris
ça.
Et ce n’est pas tout encore. Ce qui me reste à vous dire est si
étrange que moi-même, quand j’y songe, ça me donne le frisson… Je
vous ai dit que j’ai une sœur…
– Valentine. Celle à qui est destiné l’un
des bons de quatre millions. Celle que Barrot, jadis, emmena en
même temps que vous, sur l’ordre de votre malheureux père.
– Oui ! Et vous dire les efforts de
mon père pour la retrouver, ce serait vous retracer, l’existence la
plus misérable que vous puissiez supposer. Eh bien ! cette
fille, cette Valentine en vain si longtemps cherchée, ma sœur, je
l’ai retrouvée, moi. Le hasard nous a mis en présence dans une
occasion terrible. Un soir que Finot me donnait la chasse…
– Finot ?…
– Un agent de la Sûreté qui, vingt fois,
faillit mettre la main sur moi quand j’étais un bandit dont il
fallait à tout prix débarrasser la société. Cette nuit-là, donc,
Finot me traqua si bien que je crus tout fini. La preuve, c’est que
Rose-de-Corail m’avait demandé de la tuer et de me tuer ensuite, à
la minute où il n’y aurait plus de fuite possible. Donc, depuis les
hauteurs de la Villette jusque dans la Cité, Finot et ses hommes
nous avaient traqués, et voilà qu’au moment où nous arrivions
devant la Morgue, il n’y avait plus moyen d’aller ni en avant ni en
arrière : la police était partout… Alors, j’ai vu qu’il
fallait mourir… Et, juste à ce moment, qu’est-ce que je vois ?
La porte de la Morgue qui s’ouvre… Rose-de-Corail et moi, nous
entrons dans la Morgue, et nous entendons les policiers qui se
lancent vers Notre-Dame… Pour cette fois encore, nous étions
sauvés.
– Mais qui avait ouvert la porte de la
Morgue ? En pleine nuit ?… C’est étrange…
– Étrange, c’est vrai. Qui avait
ouvert ? Une jeune fille.
– Une jeune fille, à la Morgue ?…
Vivante ?…
– Morte !… Ou plutôt considérée
comme morte. Elle venait de se réveiller sur les dalles. Et,
affolée de terreur de se trouver là, elle avait pu ouvrir la porte
pour se sauver… C’est à ce moment que nous sommes entrés… Cette
jeune fille, monsieur Ségalens, c’était Valentine. Je ne l’ai pas
su alors ; mais j’en ai les preuves maintenant, preuves que
m’a données mon père. Maintenant, figurez-vous que Valentine
connaissait La Veuve. Figurez vous que La Veuve lui en voulait… car
La Veuve, c’est Jeanne Mareil, et elle savait sans doute…
– La Veuve en voulait à votre sœur
Valentine ?…
– Oui. Je vous raconterai un jour toute
l’histoire de mon père, et vous comprendrez alors pourquoi.
Toujours est-il que, sans savoir que c’était Valentine,
Rose-de-Corail et moi nous avons voulu la sauver de La Veuve.
Alors, elle a vécu avec nous. Et quand Rose-de-Corail est venue me
rejoindre à la villa Pontaives, Valentine, comme de juste,
l’accompagnait.
– En sorte, dit Ségalens, avec une
profonde pitié, que les bandits, en même temps qu’ils s’emparaient
de votre chère Rose-de-Corail, s’emparaient aussi de cette jeune
fille, votre sœur Valentine… C’est effrayant… et vous avez dû bien
souffrir alors !
– J’avoue que j’ai surtout pensé à
Rose-de-Corail. D’ailleurs, à ce moment, j’ignorais complètement
que Marie Charmant fût ma sœur Valentine…
Tiens !…Qu’avez-vous ?… Vous vous trouvez mal ?…
– Qu’avez-vous dit ? râla Ségalens
devenu livide.
Le jeune homme s’était levé d’un bond.
Il tremblait de tous ses membres.
Il saisit violemment les mains de Jean Nib
stupéfait et balbutia :
– Vous avez dit ?… Oh !…
répétez…
– Que ma sœur Valentine…
– Vivait sous le nom de Marie
Charmant ?…
– Mais oui !…
– Marie Charmant ?… La bouquetière
de la rue Letort ?…
– Certes !…
Ségalens poussa un grand cri, puis, retombant
dans un fauteuil, se prit à sangloter… sangloter de joie !…
Car maintenant, il était sûr que Marie Charmant était aux mains de
La Veuve ! Et il savait où trouver La Veuve !…
– Oh ! dit Jean Nib, mais à part
l’amitié dont vous m’honorez, pourquoi une pareille
émotion ?…
Ségalens montra à Edmond d’Anguerrand un
visage radieux, tendit ses deux mains, et, d’un accent de passion
profonde, murmure :
– Je l’aime !…
– Vous aimez Marie Charmant ?
– De toute mon âme !
– Vous aimez ma sœur
Valentine ?…
Ségalens tressaillit, frappé au cœur.
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