Fleurs de Paris
Mareil…
– Hubert d’Anguerrand n’a plus à redouter
ni haine, ni menaces, interrompit Gérard en frissonnant.
La Veuve hocha la tête avec un singulier
sourire.
– Voyons, fil-elle, vous avez donné
vingt-cinq mille francs à Jean Nib ?… Je le sais… je sais
toute cette histoire… Connaissez-vous Jean Nib ?… Non !
vous ne le connaissez pas !… Sans cela, vous trembleriez,
Gérard d’Anguerrand !…
– Que voulez-vous dire ? balbutia
Gérard.
– Je veux dire que vous aviez promis cent
vingt-cinq mille francs à Jean Nib, dit lentement La Veuve, et
qu’il n’en a touché que vingt-cinq mille…
– Nous sommes prêts à lui verser cent
mille francs dit Adeline ; qu’il vienne !…
Et alors La Veuve reprit :
– Jean Nib n’est pas venu chercher les
cent mille francs promis ; Jean Nib ne viendra jamais les
chercher… Jean Nib se contente des vingt-cinq mille francs qu’il a
eus.
– Pourquoi ? bégaya Gérard qui défit
le col de sa chemise, car il se sentait étouffer.
– C’est ce
pourquoi
que
j’attendais ! dit La Veuve avec une sinistre placidité ;
c’est à ce
pourquoi
que je suis venue répondre !…
Jean Nib a pris les vingt-cinq mille francs parce qu’il croit les
avoir gagnés… mais il ne prendra pas les cent mille
parce qu’il
ne croit pas les avoir gagnés !…
« Jean Nib n’a pas tué le baron
d’Anguerrand… Votre père est vivant !…
– Vivant ! rugit Adeline dont le
visage convulsé offrit alors une terrible expression d’épouvante et
de haine. Vivant !… Je te l’avais dit, lâche ! qu’il
fallait opérer toi-même !…
Mais Gérard ne répondit pas, n’entendit
peut-être pas ces paroles. Chancelant, décomposé, il marcha sur La
Veuve, la saisit par un bras, et d’une voix très basse, presque
douce, où perçait, mêlée à l’effroi, une soudaine et timide
espérance :
– Vous dites que Jean Nib n’a pas
tué ?…
– Il n’a pas tué !…
– Vous dites que le baron d’Anguerrand
est vivant ?…
– Je le dis !…
Gérard respira longuement. Il tremblait.
La question qui était sur ses lèvres, l’atroce
attente de la réponse le bouleversaient d’angoisse.
Et, enfin, d’une voix plus basse et plus
frémissante encore, la question se fit jour :
–
Et elle ?…
– Qui ? Elle !… demanda La
Veuve.
– Elle !… Lise !…
– Celle-là est morte, dit La Veuve avec
une froideur tragique. Jean Nib a accompli la moitié de sa
besogne !…
– Morte ! râla Gérard dans un
sanglot.
Il oubliait son père ! Son père vivant
qui pouvait, qui devait reparaître, implacable cette
fois !
Il oubliait que lui-même avait dit à Jean
Nib : Tue-la !…
Il oubliait que dix minutes avant cette scène,
il considérait Lise comme morte…
Il n’y avait plus en son âme qu’une vérité de
deuil et de malheur : c’est que, pendant quelques secondes, il
avait espéré que Jean Nib n’avait pas frappé Lise ; il l’avait
vue
vivante, il avait palpité d’une joie monstrueuse et
c’est cette joie qu’il pleurait, c’est cet espoir si vite brisé qui
jonchait de ses débris sa pensée affolée.
Ce fut donc avec une réelle, une sincère
révolte, avec une douleur
nouvelle
, qu’il
bégaya :
– Morte ? Lise est morte !…
– N’est-ce pas vous qui l’avez
voulu ? demanda La Veuve en jetant sur cet homme ce regard
trouble des étonnements anormaux.
– Morte, râla Gérard. Et ce misérable a
osé la tuer !… Quoi !… Il n’a pas eu pitié de tant de
jeunesse et de beauté ! Quoi ! vraiment, cette chose
épouvantable s’est commise ! Cet homme a porté sur elle ses
mains de bandit !… Qu’elle a dû souffrir ! Comme elle a
dû se débattre et crier grâce !… Et il a frappé ! Il n’a
pas eu pitié ! Oh ! le misérable !…
l’assassin !… l’assass…
Il s’arrêta court, blême d’horreur : la
main d’Adeline venait de s’abattre sur son épaule.
Et Adeline, avec une ironie mortelle,
disait :
Ah ! ça mon cher, prenez garde qu’on ne
vous entende, car c’est de vous-même, songez-y bien, que vous
parlez en ce moment !…
Hagard, fou de douleur et de terreur, Gérard
vit devant lui, dans une haute glace, un homme livide, en tenue de
soirée, qui claquait des dents et s’essuyait le front.
– Vous regardez l’assassin ?
continua Adeline.
– Oui ! prononça Gérard d’une voix
morne. L’assassin !… Charlot !
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