Fleurs de Paris
Te voilà donc,
Charlot ! Que n’es-tu encore à cette époque où tu n’étais
qu’un vulgaire associé d’escarpes qui t’obéissaient ! Alors,
Charlot, tu étais le roi de la nuit. Paris t’appartenait. Tu te
jouais des agents et des juges ! C’est fini…
« Depuis que tu l’as rencontrée,
elle ! et depuis que tu aimes… car tu aimes… toi !
toi ! toi !… ajouta-t-il avec un effrayant éclat de voix…
Depuis que tu as senti battre en toi quelque chose comme un cœur
d’homme, il y a en toi, Charlot, un juge qui marche sur tes traces,
s’assied dans ta voiture, prend place à ta table, dort ton sommeil
et s’installe dans tes rêves !…
– Où es-tu, Charlot ! Où es-tu,
dis-le-moi ! grinça-t-il en tendant le poing à sa propre
image, tandis qu’Adeline reculait, épouvantée ; où es-tu,
heureux escarpe qui t’inquiétais seulement du coup à réussir et
riais de si bon cœur quand tu avais ramassé dans la boue et dans le
sang quelques billets bleus que tu allais perdre au cercle !…
Heureux Charlot ! Un jour, tu vis à l’Opéra une femme… la
maîtresse d’un roi, d’un cuistre couronné… et pour coucher une nuit
dans le lit de cette catin royale, tu tuas… ou tu fis tuer !
L’argent, tu l’as eu, Charlot, et la femme aussi ! Et tu
dormis paisible, content de ton caprice satisfait, et tu ris
longtemps de la figure terrifiée de cette femme, lorsqu’en la
quittant le matin, tu lui dis : « Madame, savez-vous avec
qui vous venez de coucher ? Avec Charlot ! C’est un roi
qui en vaut un autre ! »
« Fini de rire ! Fini de
dormir !… Je n’étais qu’un assassin… Je suis maintenant le
meurtrier de Lise… »
Et tandis que Gérard, les poings crispés vers
la glace, rugissait sa douleur, La Veuve, à pas lents, se
rapprochait d’Adeline, et, doucement, d’une voix étrange,
murmurait :
– Rassurez-vous, madame, Valentine
d’Anguerrand n’est pas morte !…
Sapho tressaillit jusqu’au plus profond de son
être.
Une joie épouvantable dilata son cœur jusqu’à
le faire éclater. Lise vivante ! En quelques secondes, elle
inventa des supplices, des tortures raffinées contre celle
qu’aimait Gérard.
– Voici mon adresse, continuait La Veuve
en lui glissant un papier plié en quatre. Voulez-vous de mon
alliance ? Donnez-moi Hubert, je vous donne Valentine…
– Demain, je serai chez vous, haleta
Sapho.
– Bien !… fit La Veuve en se
reculant.
« Mais ne venez pas demain :
attendez huit jours.
– Un instant ! dit Adeline en la
retenant et en la fixant jusqu’à l’âme. Savez-vous comment je
m’appelle ?…
La Veuve demeura étonnée et fit un geste
d’indifférence.
– Vous vous appelez mon alliée :
c’est tout dit-elle.
– Je porte aussi un nom qui vous fera
comprendre pourquoi je serai votre alliée fidèle : je
m’appelle Adeline de Damart : et mon père s’appelait Louis de
Damart… Hubert d’Anguerrand a tué Louis de Damart ; c’est vous
qui venez de me l’apprendre !
« Et moi… moi !… oui, moi, j’ai été
la maîtresse d’Hubert d’Anguerrand et je m’appelle maintenant
baronne d’Anguerrand !…
La Veuve baissa la tête et frissonna
longuement.
– La fille de Louis de Damart !
murmura La Veuve dans une rêverie atroce. La fille du comte de
Damart s’unissant à Jeanne Mareil contre Hubert
d’Anguerrand !…
Est-ce que cela ne devait pas
être ?…
Et cela est !…
Alors, elle marcha sur Gérard qui, prostré sur
les coussins du canapé, sanglotait.
– Monsieur le baron d’Anguerrand,
dit-elle d’une voix rude, vous pleurez. C’est bien. Mais moi, je
suis venue ici vous prévenir du danger qui vous menace et vous
dire : Votre père est vivant !…
– Mon père ! bégaya Gérard dont
l’esprit mobile s’aiguilla dès lors sur ce péril redoutable.
– Hubert d’Anguerrand ! continua La
Veuve. Je vous ai dit ma haine. Je connaissais la nécessité où vous
êtes de frapper à mort celui que je hais… Est-ce qu’il ne va rien
sortir de ces deux éléments ?…
– Vous avez raison ! murmura
sourdement Gérard. Où est mon père ?…
– Entre les mains de Jean Nib !…
– Où cela ? fit Gérard qui, par une
brusque saute de l’esprit, reconquit son sang-froid.
Venez chez moi, et je vous conduirai ! Je
vous attends dans huit jours : le temps d’écarter Jean Nib qui
fait bonne garde prés de l’homme…
– Et qui me conduira
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